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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus
Autoren: Michel Ragon
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Sacco et Vanzetti. De Gaulle bougonna : « Il ne faut pas que Lecoin meure. » Et l’abbé Pierre lui écrivit : « Ce Dieu auquel vous ne croyez pas, il vous aime infiniment. »
    J’avais demandé à Lecoin des nouvelles de Fred Barthélemy, disparu. Il ne savait rien. Il m’écouta d’ailleurs à peine. Que lui importait Barthélemy, alors que quatre-vingt-dix objecteurs de conscience moisissaient en prison ?
    Bizarrement, à peine le statut des objecteurs obtenu, Lecoin, à son tour, passait à la trappe. En 1968, la nouvelle vague anarchiste qui déferla de l’université de Nanterre et prit d’assaut la Sorbonne, récupéra Fred Barthélemy. L’Humanité s’en gaussa, disant que Cohn-Bendit ramassait Barthélemy dans les poubelles de l’Histoire. Toujours ces poubelles, dont les couvercles allaient servir de boucliers dans les affrontements avec la police.
    Finalement, Cohn-Bendit s’aperçut que se faire précéder par un fossile manquait d’agrément et s’attribua la première place, remettant Barthélemy dans la décharge où il l’avait trouvé.
    Lorsque Lecoin mourut, en 1971, et fut, lui aussi, incinéré au Père-Lachaise, Fred Barthélemy n’y assista pas. Échappé à la coupe de Cohn-Bendit, il tombait sous celle de Mariette et Louis. Les deux enfants de Claudine l’intégraient en effet à leur lutte écologique contre les centrales nucléaires. Lorsque je les interrogeai sur l’activité de leur père, je remarquai vite qu’ils exagéraient son rôle. Ils m’étalaient des photos où l’on voyait Barthélemy traîné à terre par les C.R.S., représentant, dans ces manifestations pacifistes qui souvent tournaient au vinaigre, le rôle du vieillard persécuté. Ils me montraient trop complaisamment les sit-in où Fred se détachait au premier plan, face à la police, très bien exposé pour les photographes, trop dangereusement exposé devant les matraques. Mariette et Louis me décevaient. Eux-mêmes semblaient d’ailleurs poussés par les deux fils de Louis, sûrs de la vérité de leurs vingt ans. Comme ils ne voulaient pas apparaître désuets devant ces jeunes, ils en rajoutaient et propulsaient le grand-père au casse-pipe.
    Seules mes rencontres avec Germinal ne me désappointaient pas. Il me racontait comment il lutta, avant et après 1968, contre les perpétuelles tentatives de transformer la Fédération anarchiste en parti marxiste libertaire. Jusqu’alors le mouvement avait été essentiellement tenu par des ouvriers ou d’anciens ouvriers. Soudain, un afflux d’étudiants, nourris de philosophie marxisante, déferla sur la F.A. et faillit l’étouffer. Il ne s’agissait plus d’ennemis voulant la détruire, mais de nouveaux militants bien intentionnés qui risquaient de l’annihiler en la délitant. Face à ce glissement, Fred se cramponna. Jusqu’à ce qu’il parte à l’hôpital sur une civière, il demeura la conscience de l’anarchie.
    En 1968, au Congrès international des Fédérations anarchistes qui se tint en Italie, à Carrare, Cohn-Bendit contesta violemment ce qu’il appelait « l’anarchie de papa ».
    — Cohn-Bendit ne pouvait pas mieux dire, ironisait Germinal, l’anarchie de mon papa c’est la meilleure.
    Germinal avait amassé beaucoup de documents qu’il se faisait un plaisir de me laisser consulter. Certains doublaient ceux que je compulsais dans les dossiers de Fred, au Kremlin-Bicêtre, d’autres étaient différents. Il avait recueilli des photos, des coupures de presse, concernant son père et que celui-ci n’avait pas gardées ou me dissimulait. Parmi ces photos, l’une d’elles m’arrêta. Fred Barthélemy, vieillard, le dos cassé, au bras d’une très jeune femme, élégante, jolie, un peu pensive.
    — Qui est-ce ?
    Germinal pinça un moment la photo entre ses doigts, comme s’il hésitait à répondre.
    — C’est Isabelle.
    — Isabelle ?
    — Oui, le dernier amour de Fred.
    — Le dernier amour de Fred n’est-il pas le premier ?
    — Sans doute. Mais Flora reste lointaine. Isabelle est venue sans bruit et partie de même. Tiens, regarde…
    Il me tendit d’autres photos. De belles photos, émouvantes, d’un couple étrange : une jeune femme, à l’allure de jeune fille, guidant un vieillard avec une amoureuse attention. Antigone ouvrant le chemin à Œdipe. Sur l’une d’elles, un garçonnet se calait devant la robe longue d’Isabelle. Je le montrai du doigt.
    — Fred et Isabelle ont
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