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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France
Autoren: Pascal Sevran
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à Bellac.
    Je résisterai à la tentation d’aller m’incliner sur la tombe de Louis d’Entraigue : 1905-1956. Je laisse ce plaisir à Lucienne. Ça lui donne un but de promenade quand il fait beau. Elle adore les cimetières, ce fut notre seul point commun. Elle m’emmenait, certains dimanches après-midi, « visiter ses morts » et déjà j’étais sensible à la qualité du silence qui règne dans les allées de ces endroits ordonnés de marbre noir et de troènes impeccablement taillés.
    Si l’on veut que je raconte avec infiniment de détails ce que fut mon enfance, je m’attacherai à rassembler ces petits riens qui font le poids d’un homme.
    Quand, par hasard, quelqu’un semble s’intéresser à moi, je voudrais lui faire partager ce qui m’empêche de dormir, mais je devrais savoir que les autres ont beaucoup à faire avec leurs rêves pour ne pas, en plus, s’embarrasser de mes cauchemars.
    Dire à une jeune fille : « il fait beau, allons au cimetière », n’est pas le meilleur moyen de la séduire. C’est très décevant, mais c’est ainsi, les jeunes filles sont rarement exaltées par cette proposition. Je leur reproche de manquer d’imagination. Elles préfèrent danser, tous les grands séducteurs savent cela.
    On verra pourquoi, malgré des apparences trompeuses, je ne me compte pas dans cette catégorie.
    En effet, mon physique agréable aurait pu m’éviter toutes sortes d’ennuis financiers ; on trouve toujours, quand on est bien de sa personne, une dame ou un monsieur sensible au problème de la jeunesse. J’eus l’occasion de le vérifier mais je n’ai pas su profiter de cette chance aussi souvent qu’elle me fut donnée. Par négligence probablement !
    De là à en déduire que je suis bon à rien, il y a un pas que je franchis parfois quand je regarde derrière moi.
    À vingt ans, les garçons ambitieux envisagent une carrière politique ou littéraire, certains moins doués s’intéressent aux mathématiques. Ceux-là ne doutent de rien. Je les envie.
    On pourrait penser, en m’entendant fredonner La Cumparsita (cet air assez connu pour que je ne précise pas qu’il s’agit d’un tango), que j’ai l’âme légère. Eh bien non ! Ce serait trop simple.
    La musique de variétés n’entrait pas dans les appartements de la sous-préfecture, voilà pourquoi j’en écoutais beaucoup dans les cafés de la capitale, l’année où je suis monté à Paris.
    Je n’avais rien d’autre à faire, l’avenir du monde ne dépendait pas de moi et Paris n’est pas tendre avec les garçons tristes.

II
    J’ai le souvenir d’un jardin de banlieue et d’une balançoire en bois vert suspendue au-dessus d’un tas de sable pour amortir la chute des enfants turbulents.
    Ailleurs, près du garage de brique, deux gros pneus pleins de terre, d’où sortaient des tulipes, au printemps. Je reconnaîtrais facilement, au bout de l’allée que longeait un fil de fer pour tendre le linge, la maison aux volets jaunes où je suis resté assez longtemps pour que l’odeur mêlée de l’encaustique et de la confiture d’abricots suffise encore à me tourner la tête.
    C’est là, un matin, dans les années d’après-guerre, que mon père est venu m’arracher à la douceur de vivre ; la dame qui me gardait pleura en m’inondant d’eau de Cologne, une dernière fois. Elle m’embrassa, puis essuya ses larmes sur ma joue avec le bas de son grand tablier de toile bleue. J’ai suivi mon père sans qu’il ait besoin de se fâcher pour cela, son regard clair m’impressionnait. Comment pouvais-je savoir, si petit, que l’on peut mourir dans le regard d’un père qui ne vous voit pas !
    À qui oserais-je un jour raconter l’histoire simple de Laurent d’Entraigue, un garçon de France qui n’a que sa mémoire à offrir ?
    Les filles ne m’écoutent pas, mon père ne m’a jamais entendu, Lucienne me faisait taire. On ne parle pas à table chez les bourgeois ; il faudra que j’attende Mado pour avoir droit à la parole.
    Mado, dont je ne dis pas tout de suite qu’elle fut reine de beauté en 1933, afin qu’on ne se méprenne pas sur les sentiments qu’elle m’inspira, ressemblait à Lana Turner, l’actrice américaine exagérément blonde, dont la photo parut à la page des faits divers d’un journal qui s’appelait alors Le Populaire du Centre.
    Personne, à part moi, ne se souvient qu’elle avait découvert son amant, un voyou italien, assassiné par sa
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