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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France
Autoren: Pascal Sevran
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propre fille. Une affaire passionnante qui troubla mon adolescence. Le beau visage de Lana Turner, marqué par le drame, me poursuit toujours. Je sais maintenant que de là date mon goût pour les femmes blessées.
    Lucienne, la femme du sous-préfet, ne pleurait jamais. Ce n’est pas forcément une qualité. Elle avait pourtant bien des raisons d’être triste. Mon père ne lui demandait rien d’autre que de paraître aux cérémonies officielles, droite et distinguée sous un chapeau acheté aux « Dames de France ». Elle en changeait deux fois l’an, à Pâques et à la Toussaint. Je préfère pour cela les femmes en cheveux, qui fument des cigarettes à bouts dorés en regardant sécher leur vernis à ongles.
    Dans un tiroir du bureau de mon père, j’avais découvert par hasard, en cherchant la boîte de cigares qu’il me réclamait, une photo de vacances assez touchante sur laquelle il figure au milieu d’un groupe de jeunes gens visiblement contents d’être ensemble au bord de la mer.
    Rien d’étonnant en somme, si ce n’est le regard tendre qu’il pose sur la demoiselle en maillot de bain qui lui tient la main.
    Oui, j’ai la manie de vouloir faire parler les photos ; je sais qu’elles mentent mais, c’est plus fort que moi, je reste l’infatigable régisseur d’un théâtre d’ombres qui ne répondent pas toujours à mon appel.
    J’en ai déduit, un peu vite sans doute, que Louis d’Entraigue s’était intéressé à autre chose qu’aux affaires publiques ; naïvement, je me suis même imaginé qu’il avait pu être amoureux un été, au cap d’Antibes, en 1936. Une version qui demanderait à être confirmée. Je ne suis sûr de rien. Mon père est mort à la chasse aux faisans, dans les bois de Louvière, avant de répondre à mes questions.
    Il a bien fallu que je m’arrange avec des suppositions et des photos oubliées sous une boîte de cigares. Il faudrait mener une enquête de police très serrée pour identifier la jolie brune qui ne laisse pas indifférent Louis d’Entraigue. On devine pour quelles raisons sentimentales les femmes que mon père a connues dans sa jeunesse me passionnent autant !
    Parmi celles-ci on me cache certainement une fille de réfugiés politiques espagnols, fuyant la guerre civile et les gens de Franco.
    Maria Luisa Rodriguez, ma mère. Un nom qui ne dit plus rien à personne et qui reste, pourtant, fixé à l’encre violette sur un registre d’état civil de la mairie du XII e  arrondissement de Paris, à la date du 16 octobre 1940. Jour de ma naissance.
    À partir de là, tout est possible.

III
    Je suis passé inaperçu. Personne ne m’attendait sur le quai de la gare d’Austerlitz, en cette matinée chaude de juin 1959.
    À cette époque, il valait mieux ne pas se faire remarquer.
    Je portais une valise ordinaire et, sur l’épaule, un sac de sport en toile bleu marine. Rien dans mon comportement ne laissait à désirer. J’avais, Dieu merci, le teint pâle et les cheveux normalement coupés, ce qui m’évita toutes sortes d’ennuis avec la police.
    Il y avait de la poussière sur le trottoir du boulevard Arago, que je remontais à l’ombre des marronniers qui m’en rappelaient d’autres. On ne se défait pas facilement des arbres aux pieds desquels on a grandi.
    Je ne connaissais Paris que de réputation et je marchais à tout hasard dans l’espoir de me familiariser avec ses rues, ses places et ses carrefours où « l’histoire a laissé des traces », disait avec un rien d’emphase M. Lavoinie, professeur en titre au collège de Bellac. Sa voix grave et sonore, pareille à celle d’un acteur de théâtre, me revint en mémoire lorsque je découvris la place Denfert-Rochereau, qui n’a rien d’extraordinaire à première vue, si ce n’est le lion verdâtre qui encombre le centre pour des raisons sans doute historiques que j’ignore encore.
    Je n’étais pas « monté » à Paris pour faire du tourisme mais pour y vivre, le plus discrètement possible, en attendant d’autres propositions.
    Je me suis assis à la terrasse d’une brasserie nouvelle, décorée de Formica orange. De là, j’ai regardé passer des lycéens qui revenaient certainement de la piscine. Ils avaient des joues fraîches et les cheveux un peu décolorés par l’eau de Javel ; trois d’entre eux portaient des raquettes de tennis ; des filles du même âge balançaient leurs nattes en riant. Tant d’insouciance faisait plaisir à voir.
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