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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France
Autoren: Pascal Sevran
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n’est pas sans défaut, mais on sent une recherche qui ajoute du solennel à ce lieu républicain.
    La pierre noircie par le temps est de bonne qualité et le square bien entretenu. Des enfants s’y ennuient encore. Malgré cela, il faut bien reconnaître que personne ne s’intéresse tellement à l’endroit.
    Ce jour de juin 1959, vers quatorze heures, j’étais même le seul à réfléchir avant d’oser gravir les marches que mon père avait empruntées autrefois.
    Avait-il posé sa capote militaire pour venir jusqu’ici annoncer ma naissance ?
    Pensait-il à la guerre, à ma mère, ou à moi ? Quel curieux mélange dans sa tête, l’empêchait de siffloter gaiement en l’honneur de Laurent d’Entraigue, son fils ?
    Il n’était pas homme à se laisser aller. Je devrais toujours m’en souvenir.

IV
    On va rarement par plaisir dans le XII e  arrondissement. Ce quartier ordinaire de la capitale n’a jamais inspiré le moindre poète, et je ne vois d’ailleurs aucune raison pour que cela change.
    Les habitants ont pourtant l’air de s’y trouver bien. Je les soupçonne même d’en apprécier la lenteur provinciale et les boutiques de mercières où se fanent encore des dentelles jaunies.
    Les rues de là-bas portent des noms de généraux oubliés, qui prennent ainsi une modeste revanche sur l’histoire de France. En 1959, les écoles étaient grises, les cafés moins lumineux qu’au centre-ville et l’on pouvait s’y tenir de longs après-midi pour le prix d’un Vittel-fraise.
    Je pourrais prétendre que c’était le bon temps, mais ce serait trop facile. Les choses ne sont jamais si simples.
    Il restait une chambre dans un hôtel plutôt accueillant de la rue Dugommier. Je m’y suis installé sans préciser la durée de mon séjour. Je n’en savais d’ailleurs rien.
    M me  Donadieu, la propriétaire, avait cru utile de faire inscrire sur la porte d’entrée : « tout confort, eau courante à tous les étages. »
    Je logeais au troisième à gauche, côté rue, ce qui donne l’avantage de voir passer du monde. L’armoire à glace et la table de chevet assorties, de couleur acajou, étaient cirées régulièrement. L’émail du lavabo était net. On remarque les bonnes maisons à des détails aussi insignifiants. J’allais vite m’habituer à ce décor et M me  Donadieu, une femme causante, m’avait juré que je serais « bien tranquille ».
    — Il y a trente-six ans que je suis ici, monsieur, mon établissement est réputé alentour, mais je suis très stricte sur le règlement. Vous ne pourrez pas recevoir de filles la nuit ; même en 40, j’ai tenu bon. Pas un Allemand n’a couché là.
    J’étais prévenu et, malgré cela, j’ai accepté la chambre 16 où je n’avais d’ailleurs l’intention d’entraîner ni jeunes filles ni officiers allemands. Ces amusements conviennent mieux aux périodes de guerre.
    M me  Donadieu ne s’est pas contentée de relever mon état civil, il a fallu que je satisfasse sa curiosité. Elle n’avait pas d’autres distractions.
    J’ai donc arrangé la vérité pour lui plaire, mais elle n’a pas cru que mon père était sous-préfet. Un héritier dans son « établissement » cela lui paraissait trop beau.
    Les petites gens n’envisagent pas la solitude des fils de famille.
    M me  Donadieu portait des corsages en nylon imprimés, des cheveux teints en roux qu’une permanente bouclait à l’ancienne.
    Elle disait : « feu mon mari », une expression un peu théâtrale qui ne la rajeunissait pas, mais elle faisait moins que son âge et le rose parfois lui montait aux joues.
    — Vous verrez monsieur d’Entraigue, la vie est imprévisible…
    Que voulait-elle dire exactement ? Cette banalité, répétée à tout propos, prenait dans sa bouche des allures de catastrophe. Elle jouait sûrement à se faire peur, le temps ainsi lui paraissait moins long. Je l’écoutais poliment sans la contrarier.
    — Vous, vous n’êtes pas comme les autres, hein !
    Ce compliment me distinguait des jeunes gens qui n’ont pas la patience de bavarder avec leur logeuse. M me  Donadieu se plaignait de les entendre dévaler les escaliers au risque de se tordre le cou et de renverser les plantes vertes qui décoraient l’entrée de l’hôtel.
    — Certains ne s’essuient pas les pieds, même quand il pleut !
    J’avais appris à respecter les parquets cirés de la sous-préfecture, ce qui me donnait un sérieux avantage dans la
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