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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France
Autoren: Pascal Sevran
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vie.
    Je prenais conscience de ma chance, grâce à M me  Donadieu pour qui le monde se résumait à deux catégories de personnes : celles qui s’essuient les pieds avant d’entrer et les autres.
    Même s’il faut lui reprocher d’avoir fait tondre deux de ses voisines, sensibles autrefois à l’uniforme allemand, sa manière de simplifier les choses m’enchantait. Quand on arrive de province, on se contente de peu.
    La petite vendeuse aux joues pâles, par exemple, celle qui travaillait chez Goulet-Turpin, la crémerie d’en face, suffisait à mon bonheur.
    Je lui caressais les fesses distraitement, une fois par semaine, le dimanche soir de préférence. Elle me trouvait « romantique ». Les jeunes filles amoureuses emploient des mots bizarres pour montrer qu’elles sont contentes.
    Jeanine avait mon âge, elle aimait les films gais et les éclairs au chocolat. J’aurais pu l’épouser malgré cela, mais j’avais la tête ailleurs, ce qui n’est pas convenable pour un jeune marié.
    M me  Donadieu, qui ne supportait pas que je rentre trop tard, me conseillait plutôt de m’intéresser d’abord à ma carrière.
    — Je vous verrais bien dans l’administration. Aux Postes, par exemple, ou dans la police… Vous pourriez prendre des cours du soir.
    Je répondais oui. Après tout, pourquoi pas ! Le service des Archives, où dorment tant de malheurs, aurait certainement retenu ma curiosité.
    Passé un instant d’enthousiasme, je renonçais à me charger de responsabilités inutiles.
    On ne s’installe pas quai des Orfèvres sous le prétexte fou de retrouver la carte d’identité de sa mère !
    Pour me distraire, certains après-midi, j’allais m’asseoir sur un banc. J’écrivais sur des cartes postales en noir et blanc, représentant la fontaine et le bassin de la place Daumesnil, des quatrains sans importance qui auraient pu faire le bonheur d’une chanteuse populaire.
    Il faisait beau et les joueurs de boules me prenaient à témoin de leurs différends. J’arbitrais en toute innocence sans m’intéresser vraiment aux règles de ce jeu qui me semblait d’ailleurs assez simple.
    Mais, puisque j’étais là, j’aimais autant me rendre utile. J’espérais avoir bientôt mieux à faire, mais quoi ?
    De Bellac, j’avais la certitude que Paris m’offrirait des réponses gaies à cette grave interrogation ; j’en parlais parfois avec Jean, mon copain de classe, le seul ou presque à qui j’osais me confier parce qu’il ne jouait jamais aux gendarmes et aux voleurs.
    À douze ans, on s’imagine généralement pompier ou sergent de ville. Jean n’avait pas de ces idées romantiques. Moi non plus. Ce qui nous faisait rêver, lui et moi, c’était plutôt la musique et les vedettes de cinéma, celles qui souriaient en couleur sur les affiches.
    Jean était gentil comme une fille ; les copains se moquaient de lui. Je voudrais être sûr qu’il a pris sa revanche. Mais tout est possible.
    Peut-être attend-il, lui aussi, sur le banc d’un jardin public à Limoges, face à la mairie ou ailleurs, plus loin, quelque chose ou quelqu’un ?

V
    J’achetais parfois les journaux du soir qui parlaient de la guerre d’Algérie. Seuls les gros titres retenaient mon attention, après quoi je passais vite à la page des spectacles où l’on voyait justement des pin-up blondes dans des poses avantageuses. Et je me disais qu’il faut de tout pour faire un monde : des femmes fatales et des petits soldats aussi.
    J’avais assez de temps pour en perdre un peu à réfléchir à des choses futiles, encore assez d’argent pour n’avoir pas à m’inquiéter de la suite des événements.
    Je ne dis pas que j’étais heureux, mais je prenais ma jeunesse en patience, ce qui est une façon comme une autre de ne pas trop faire de bêtises. M me  Donadieu me trouvait bien raisonnable pour un garçon de mon âge. Elle mettait cela au crédit de mon éducation et de la haute estime dans laquelle elle tenait les sous-préfets de région.
    Il n’aurait servi à rien de la détromper. Après tout je n’avais pas que des mauvais souvenirs d’enfance, et ce qui m’avait blessé le cœur n’était pas très original.
    Sur le pont de pierre qui domine une petite vallée traversée de ruisseaux, comme on en voit beaucoup en pays limousin, j’allais quelquefois, après la messe le plus souvent, regarder passer les trains de marchandises. C’est là, un dimanche probablement, qu’une dame pressée
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