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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France
Autoren: Pascal Sevran
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I
    On me donnait le Bon Dieu sans confession. On avait tort.
    Il faut se méfier des enfants propres et bien coiffés, des autres aussi d’ailleurs.
    J’avais les yeux bleus, de bonnes manières avec les dames du patronage et si j’allais à la messe sans me faire prier, ce n’est pas seulement pour les raisons que l’on croit.
    Je couchais avec le curé. Plutôt par politesse que par conviction, mais enfin le cœur y était.
    Ma nature espiègle m’entraînait déjà à défier la morale bourgeoise.
    Pour choquer les grandes personnes, j’annonçais même à qui voulait m’entendre, que je serais chanteur de charme. Ce qui, on s’en doute, n’est pas du meilleur effet quand on est le fils unique d’un sous-préfet de la Haute-Vienne, un département français qui ne prête pas forcément à rire.
    Je n’ai pas mis ma menace à exécution mais quand j’entends un paso doble, je fredonne en espagnol ; oui, ma mère est peut-être originaire des environs de Barcelone ! Cette supposition me convient parfaitement, elle explique ma tristesse et mes emportements.
    Ceux qui m’aiment disent que je suis un garçon enjoué. Je ne prends pas la peine de les détromper, ils seraient trop déçus.
    Au contraire, je me conforme à l’idée simple qu’ils se font de moi, cela facilite ma vie et la leur. Les gens n’ont pas envie de vous serrer sur leur cœur en pleurant, les gens n’ont pas de goût pour la mélancolie.
    Mon père, dont je reparlerai de temps à autre, prétendait qu’il ne faut jamais se confier. Cela n’est pas convenable ! Combien de fois l’ai-je entendu reprendre ses collaborateurs ou sa femme : « Un peu de tenue, Léonard ! Vos histoires n’intéressent personne, Lucienne… »
    On comprend qu’il n’avait pas le caractère primesautier et si je pense à lui, parfois, c’est qu’il est mort avant que je le déteste tout à fait. Un accident de chasse, qui fit du bruit dans la région, « l’a enlevé prématurément à l’affection des siens », selon la formule exacte, employée par les journaux locaux.
    J’avais seize ans, et je dus témoigner devant la police de la fidélité de ce pauvre M. Léonard, qui fut inquiété quelques jours après le drame, sur des racontars qui me paraissaient sans fondement.
    Aujourd’hui, j’ai moins de certitude. Tant d’humiliations auraient pu justifier un geste maladroit !
    Cela n’a plus guère d’importance et je ne voudrais pas attendrir avec cet épisode de ma vie. Il est spectaculaire, j’en conviens, mais j’avais perdu mon père longtemps avant ce jour-là : le matin où il m’a présenté Lucienne, en me demandant de l’appeler Maman.
    La femme du sous-préfet avait des ambitions moins émouvantes, et comme je n’étais pas disposé à lui faire jouer un rôle qui ne convenait pas à son genre, nos rapports ne furent pas vraiment chaleureux. Quand je dis que je couchais avec le curé, je me vante un peu ; en réalité, je me laissais bénir très affectueusement pour me venger de Lucienne. D’abord l’abbé Jean était beau et la femme du sous-préfet allait à confesse plus souvent qu’il n’est nécessaire. Cela m’intriguait et ce n’est pas sans raison que je la soupçonnais d’avoir des choses à se faire pardonner. Pour se débarrasser de moi, elle disait sans malice :
    — Il sera bien entre les mains de l’abbé Jean…
    Elle ne croyait pas si bien dire.
    C’est l’un des rares souvenirs gais de mon enfance, que d’avoir déjoué la bonne conscience d’une catholique pratiquante.
    L’abbé Jean doit être gros maintenant et je me demande s’il plaît toujours autant aux dames d’œuvre, et s’il fait toujours sauter sur ses genoux les petits garçons blonds de Bellac qui ont des problèmes affectifs avec leur maman.
    Et les marronniers de la sous-préfecture ont-ils été coupés ? Je ne prendrai pas le risque d’y retourner voir. J’ai trop peur de ne pas retrouver là-bas le décor exact de ma nostalgie. Ils ont peut-être abattu un mur, dressé un grillage, ou modernisé le café de la place ! Je n’aime pas que l’on mette de l’ordre à ma mémoire avec tant de désinvolture.
    Il suffit que je me souvienne d’un rayon de lumière, tombant vers seize heures en été sur le bureau de mon père, pour m’émouvoir.
    Alors, l’idée qu’ils aient pu mettre un store de plastique à cette fenêtre qui n’en avait pas me scandalise.
    Non, décidément, je ne retournerai pas
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