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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France
Autoren: Pascal Sevran
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peur. Je me tassai sur ma chaise de crainte d’être découvert. Il y avait de la nervosité parmi les acteurs. Dans quarante-cinq minutes, ils allaient devoir jouer, sans défaillir.
    Des répliques fusaient ici et là. Dans un coin, deux garçons semblaient s’insulter. Ils répétaient encore.
    Au-dessus de ma tête, l’éclairagiste jurait qu’il n’avait pas assez de matériel.
    — Démerde-toi, fais comme nous, lui hurla Jean-Paul Raimond.
    L’ambiance était irrespirable. Je n’y comprenais plus rien. Je me demandais si ces gens se détestaient vraiment ou si c’était ça le théâtre.
    Elle a choisi ce moment-là pour apparaître dans le faible rayon de lumière jaune où les acteurs s’épuisaient.
    Fragile ; pauvre moineau apeuré. Moi, je savais qu’elle avait ri sur les grands boulevards au bras de l’astrologue, moi, je savais qu’elle m’avait laissé du rouge à lèvres sur la joue. Rien d’autre. Elle… Et si elle avait tout oublié ?
    Je ne l’ai pas reconnue ; je l’ai devinée avant même qu’elle n’ose parler.
    Elle portait des costumes sur l’épaule, et tendait vers son homme un pantalon de militaire kaki.
    — Je repasse lequel, Jean-Paul, celui-là ou le bleu marine ?
    Oui, elle avait gardé un peu d’accent, assez pour paraître plus vulnérable encore. Une voix en exil, une voix d’étrangère qui doit s’excuser d’avance.
    — Sors de là, Maria, tu nous emmerdes, tu n’as rien à foutre sur la scène. Allez, les enfants, reprenez le deuxième acte.
    Pas un n’a bronché, pas un n’a contrarié le grand chef. Elle est sortie. Voilà, c’est tout.
    Je ne suis pas allé casser la gueule à Jean-Paul Raimond. Il avait des épaules pour se défendre et personne ne m’avait appris à me battre.
    Je n’y peux rien, moi, si les femmes préfèrent les salauds.

XXVII
    Je n’ai pas assisté à la représentation du Manège espagnol. Comment aurais-je pu m’intéresser à une autre histoire que la mienne ? Qui tournait mal, bien sûr.
    Je suis sorti aussi discrètement que possible, par la porte principale pour ne pas risquer de croiser ma mère dans le couloir qui menait aux loges d’artistes. Je préférais me souvenir de sa voix, loin d’ici, où, de toute façon, on la faisait taire.
    Dans le hall de la Compagnie du Cercle d’or, une demi-douzaine de jeunes gens, des étudiants sérieux qui lisent le journal Le Monde et ne s’habillent pas en dimanche pour venir au théâtre, et des filles sans maquillage bavardaient en attendant l’ouverture.
    Que savaient-ils de Jean-Paul Raimond leur idole ? Si je leur avais dit qu’il maltraitait ma mère, auraient-ils seulement été déçus ? Non, ils m’auraient pris pour un fou.
    Je n’avais d’ailleurs pas envie de raconter cela à quiconque. On n’est jamais heureux ou malheureux qu’en soi.
    J’ai marché assez longtemps en direction de la porte de Clichy, et je me souviens avoir regretté l’oubli de mon appareil photo. Le port de Gennevilliers, avec ses grues, ses péniches endormies et ses échafaudages éclairés par endroits de points rouges et bleus comme un gigantesque arbre de Noël, aurait fait un cliché impressionnant.
    Mado m’avait juré que je pouvais devenir un vrai photographe. Elle était très fière des portraits que j’avais tirés d’elle le soir de mon anniversaire.
    — Tu as des dons, il faut que tu t’entraînes à chaque occasion, tu dois avoir l’œil partout…
    Depuis, je ne quittais pas mon Kodak, j’avais même photographié Pepa en cachette dans ma chambre. Toute nue.
    De « La Maison rose » aussi j’avais fait des photos la veille de la fermeture définitive par la police. Il me restait au moins cela. On ne devine pas à voir la mine réjouie du gros Samyr qu’il va être arrêté quelques heures plus tard. M. Mathias, lui semble se douter de ce qui l’attend. C’était la tête pensante du groupe. Tous les journaux l’ont écrit : « Un personnage d’ombre, un tortionnaire de bonne famille », précisait l’ Humanité, qui dénonçait « La Maison rose » comme étant « le repère mondain des profiteurs de la guerre ».
    Je l’avais échappé belle ! Mado, qui découpait les articles, me disait souvent :« Tu es un bon garçon, Laurent, ça te sauvera toujours. »
    Il était vingt et une heure quinze, Jean-Paul Raimond épatait ses admirateurs, peut-être s’était-il excusé auprès de ma mère avant d’entrer en scène.
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