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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France
Autoren: Pascal Sevran
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signe de ne pas insister dans la provocation.
    Je n’en avais pas l’intention, je voulais seulement animer l’après-midi. J’étais pressé d’apprendre à me servir de l’appareil photo et de me retrouver seul avec Mado, lui dire enfin ce qu’elle guettait dans mon regard.
    J’ai soufflé mes bougies sans pouvoir oublier la dernière cérémonie de ce genre, donnée en mon honneur. Pour mes quinze ans, à Bellac, mon père n’avait pas pu rester au dessert, un contretemps l’appelait ailleurs. Depuis ce jour, je déteste les mokas au café saupoudrés d’amandes.
    Mado ne pouvait pas le savoir.
    Je me suis forcé quand même et lorsqu’elle m’a tendu un second morceau, je lui ai dit doucement, pour ne pas réveiller M me  Donadieu endormie sur le gros fauteuil : « Je t’expliquerai… »
    J’avais encore tant de choses à lui expliquer.

XXIV
    En revenant d’accompagner M me  Donadieu au métro de dix-sept heures douze, j’ai avoué à Mado que ça n’allait pas, que ma visite chez l’astrologue la veille m’avait « foutu un coup », comme on dit quand on ne cherche pas ses mots.
    Elle parut soulagée, sûre que j’allais renoncer à poursuivre une femme qui ne m’attendait plus depuis longtemps.
    Il faisait nuit ou presque. Les lumières jaunes du « Régina Palace » tombaient dans l’eau sur le trottoir parsemé de flaques.
    L’orage avait été bref mais violent. Il pleut toujours quand on marche un dimanche en fin de soirée dans une rue de banlieue et qu’il faut bien se dire des choses tristes.
    La séance venait de commencer et l’on entendait, provenant de la cabine du projectionniste qui donnait sur un jardin, des bruits de guerre enregistrés à Hollywood ou à Cinecittà.
    Un divertissement parfait pour des jeunes gens qui ne tarderaient pas à partir en Algérie vérifier à leurs dépens qu’une mitraillette, c’est plus amusant dans les films de Kirk Douglas.
    Mado a pris ma main, nous nous accrochions l’un à l’autre. Perdus.
    — Je n’irai pas à la guerre, Mado, je te le jure, je n’irai pas, je me fous de la grandeur de la France, et des cons que cela fait bander.
    — Calme-toi, garçon. J’essaierai d’arranger ça, j’ai encore quelques officiers amis au ministère… Tu dois te reposer maintenant.
    J’aimais bien qu’elle m’appelle garçon. C’était le premier mot de notre complicité. Un code entre nous, quelque chose en plus qui voulait dire : je suis là.
    Nous marchions sans nous presser vers chez nous, et je montais sur le bord du trottoir pour être un peu plus grand qu’elle.
    — Ne t’inquiète pas, garçon, on grandit jusqu’à vingt-cinq ans. Tu finiras par me rattraper !
    Mado comprenait tout. Je me revois ce soir-là, enfin détendu par sa promesse, sautillant d’une jambe sur l’autre, danseur de french cancan improvisé. Elle me regardait comme un oiseau provisoirement soutenu par le vent.
    Mais où allais-je me poser ? Où allais-je tomber ?
    Mado aurait bien voulu le savoir. Moi aussi.
    — Je t’apprendrai la samba si tu aimes danser, mais tu vas rester tranquille, Laurent, il le faut.
    « Si ta mère voulait vraiment te retrouver, elle serait là… »
    Mado avait raison, je le savais, mais je n’avais plus le choix, rien ne m’empêcherait d’aller courir les théâtres de la périphérie. On prend des risques, quand on est malheureux.
    — Je saurai si ma mère est une pute, oui, une pute !
    Je criais pour m’obliger à prononcer ce mot-là.
    Mado resta comme assommée par mes paroles.
    Au coin de l’avenue Paul-Vaillant-Couturier où nous arrivions, une voiture tous phares allumés était garée en double file. À l’intérieur, on devinait malgré la buée sur les vitres qui les protégeait deux ombres enlacées, emmêlées même.
    — L’amour se prend n’importe où, n’importe comment, me dit Mado, ne juge pas, Laurent, si toutes les femmes sont des putes, alors moi aussi.
    Elle n’avait pas compris. Je l’avais humiliée sans le vouloir. J’ai serré sa main pour qu’elle me croie.
    — Je n’ai pas voulu dire cela, Mado je me prépare seulement à l’idée la plus difficile à admettre pour un fils… J’ai pardonné d’avance, Mado, que puis-je faire d’autre ?
    La grille du jardin grinçait. En banlieue, toutes les grilles de jardin grincent un peu. Un bruit familier, auquel Mado ne prêtait plus attention depuis longtemps.
    — Il faudra que je mette de l’huile,
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