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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France
Autoren: Pascal Sevran
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me dit-il, si vous voulez me suivre…
    Même carrure, même démarche élégante et pressée. Louis d’Entraigue aussi arpentait les salons de la sous-préfecture à grandes enjambées, les mains dans le dos.
    Je ne savais plus où j’étais. Il me fit asseoir et, tandis qu’il ramassait une pile de thèmes astraux dispersés sur une table carrée, encombrée de cartes, cendriers, pots en étain, et divers objets hétéroclites, je remarquais qu’il portait une alliance en platine et des boutons de manchette assortis. Il avait ce qu’il faut pour plaire aux femmes : des lèvres sensuelles et des mains fines, le menton volontaire. Plus jeune, les cheveux moins bien coupés. Mon père, exactement. C’est seulement quand il parlait qu’on sentait la différence, le ton était plus commerçant.
    — Alors, me dit-il, déception amoureuse ? Soucis d’argent ?
    — Non,… Professeur, envie de savoir simplement.
    — Ah bon ! Excusez mon étonnement, mais il est si rare de rencontrer des garçons de votre âge qui se passionnent pour l’astrologie sans raisons graves…
    — Je ne me passionne pas vraiment, lui dis-je, c’est le destin qui m’a conduit vers vous…
    Je l’intriguais enfin… Il me considéra autrement une seconde, en contractant sa mâchoire nerveusement.
    Avant de m’expliquer, je voulais qu’il découvre dans ses cartes ce qui m’amenait chez lui. Je ne crois en rien, mais je lui laissais une chance.
    — Vous êtes né où, quand et à quelle heure ?
    — Le 16 octobre 1940 à Paris XII e .
    Il prenait des notes sur une large feuille quadrillée, sur laquelle était dessinée, à l’encre bleue, une figure géométrique.
    — Parfait. Vous serez majeur demain. Ça se fête, un jour pareil… À quelle heure ?
    — Je ne sais pas, peut-être pourriez-vous m’aider justement ?
    Je lui répondais lentement afin qu’il ne reprenne pas l’avantage.
    — Sans l’heure exacte, je ne peux rien conclure de précis. L’astrologie, monsieur Laurent, ce n’est pas une science de foire.
    Je l’agaçais. Il avait l’impression que je jouais au plus malin.
    — Appelez votre mère, me dit-il en me désignant le téléphone, elle doit savoir ?
    Elle s’imposait entre nous, plus vite que prévu. Je n’avais pas la force de tricher plus longtemps. Il fallait que je saisisse l’occasion de me découvrir. Au fond, cet homme allait peut-être m’aider ; et si ma mère était là dans une pièce voisine, occupée à des travaux de couture ou simplement à prendre le thé avec une amie ! Cette pensée me glaçait. Non, ce n’était pas possible ! Maria Luisa Rodriguez m’échappait chaque fois que je voulais la retenir, aucun décor ne lui convenait. Elle n’existait pas ailleurs que dans mon imagination sur un pont de chemin de fer, en été à Bellac, silhouette floue qui s’en va.
    — Ça n’a pas l’air d’aller… Un peu d’alcool de menthe vous fera du bien… Tenez…
    Il me tendit un petit flacon de verre transparent, que je portais aussitôt à mes lèvres sèches.
    — Ce n’est rien, me dit-il, l’émotion, j’ai l’habitude.
    — Je ne peux pas appeler ma mère, lui dis-je, vous seul savez où elle est…
    Le téléphone a sonné. Le professeur Germain a décroché sans me quitter des yeux ; il a demandé qu’on ne le dérange plus et personne, en effet, ne nous a dérangés le temps qu’il me raconte.
    Tout avait commencé trois ans et demi plus tôt, rue de la Grange-Batelière, dans le modeste studio qu’occupait alors M. Letourneur, astrologue de quartier, à la recherche d’une clientèle. Ma mère habitait au-dessus, une chambre de bonne sans confort. Elle s’ennuyait. Lui aussi. La rencontre était inévitable.
    — On se croisait dans l’escalier, elle fuyait mon regard quand je m’effaçais pour la laisser passer, mais je savais qu’elle viendrait, c’était écrit dans les cartes…
    — Elle vous a parlé de moi ?
    — Oui, longtemps après, un soir par hasard, au détour d’une phrase elle a dit : « Mon fils ne me pardonnera jamais »… Elle avait peur de vous, Laurent.
    Le professeur s’exprimait en articulant chaque mot et en gardant ses distances.
    Il avait aimé ma mère assez fort pour supporter plus qu’il ne pouvait en dire.
    — Nous allions nous marier, elle me l’avait promis, et voilà…
    J’osais à peine respirer pour qu’il ne s’arrête pas de parler. Depuis mon enfance, j’attendais ce
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