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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France
Autoren: Pascal Sevran
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de Paris et de sa banlieue le nom pour moi inconnu de Jean-Paul Raimond.
    On indiquait, en italiques extrêmement fines, le titre de la pièce qu’il présentait et l’adresse à Gennevilliers, impasse de la Mer. Avec ce commentaire critique : « Du théâtre d’avant-garde, sobre jusqu’au dépouillement. Mélo surréaliste pour initiés seulement. » Un résumé destiné à décourager les foules qui n’avaient d’ailleurs pas besoin d’être canalisées à l’entrée.
    Un désert. La jeune fille au visage creux, encadré de longs cheveux raides, préposée à la vente des billets, n’était pas débordée. Elle semblait passionnée par la lecture d’un livre grave et ne prit pas la peine de lever les yeux vers moi, tandis que je regardais les photos exposées dans le hall sur un panneau de contre-plaqué peint en jaune. Il était dix-neuf heures et la représentation du Manège espagnol ne commençait qu’à vingt et une heures.
    J’avais le temps de retourner sur le port, marcher au bord de l’eau, entre les péniches éventrées et les hangars géants, minés par la rouille. Un décor de cinéma posé là, exprès pour m’aider à patienter.
    Le Manège espagnol  ! Le titre était joli et j’y voyais un hommage à ma mère. Peut-être avait-il écrit ce mélo en parlant de sa vie. Et si j’allais découvrir sur scène, revu et corrigé par un acteur génial, qui sait, les bonheurs et les tourments d’une femme déchirée entre l’amour, sa terre natale et son fils ? C’est-à-dire moi, Laurent d’Entraigue, spectateur imprévu dans une salle de banlieue où personne ne ferait attention à mes larmes.
    D’après les photos prises au cours des répétitions, Jean-Paul Raimond avait de la prestance. On le voyait torse nu, mains en l’air, face à des carabiniers. Il était beau gars, mais pas romantique à la manière des jeunes premiers d’alors, son regard sombre lui donnait une présence plutôt sauvage.
    Ce qui m’a frappé, c’est sa jeunesse, il pouvait avoir trente ans à peine.
    C’était donc pour celui-là que ma mère avait tout gâché une fois de plus. Comment y croire ? Son nom, à moins qu’elle en ait changé, ne figurait même pas sur l’affiche ; nulle part, il n’était fait mention des costumes.
    Si elle était là en coulisses comme je le craignais et l’espérais à la fois, que faisait-elle ?
    Se contentait-elle de guetter derrière le rideau un signe de son acteur pour lui offrir un verre d’eau ?
    Lui tendait-elle un peignoir entre deux séances pour qu’il ne prenne pas froid ?
    J’étais allé trop loin. Il fallait que je la voie maintenant. Du port à l’impasse de la Mer, il n’y a pas dix minutes de marche à pied, mais on imagine que le chemin me parut long.
    J’ai contourné quelques habitations à loyers modérés où de vraies familles comme je n’en connaissais pas allaient se réunir pour dîner. Au centre de la ville des gens de tous les jours se pressaient avant la fermeture, dans un grand magasin violemment éclairé ; ailleurs, des enfants se chamaillaient un ballon de plastique à moitié dégonflé.
    Je n’avais rien à faire ici.
    L’entrée des artistes donnait sur le terrain vague, et j’avais repéré en début d’après-midi que la porte ne fermait pas à clef. Je n’eus qu’à la pousser pour pénétrer dans ce lieu qui n’avait de théâtre que le nom. Un hangar plutôt, sommairement aménagé par une troupe de jeunes comédiens dont les voix mêlées résonnaient en écho.
    J’étais tombé sans le savoir dans la salle, encombrée de chaises en fer et de bancs. Je me suis installé au fond sans que personne ne me remarque, doucement mes yeux s’habituèrent à la pénombre, et je pus assister à l’ultime mise au point du Manège espagnol. Quelques rangs devant moi, penché sur une immense écritoire éclairée d’une lampe de poche, se tenait le metteur en scène. Il était de dos, mais j’ai deviné la carrure de Jean-Paul Raimond. Son autorité ne trompait pas.
    — Non, pas comme ça, Marc tu es bouché ou quoi ? Ça fait trois fois que je te répète la même chose, tu sors à reculons, côté cour…
    — Mais je croyais…
    — Tu n’as pas à croire, c’est moi qui décide, merde ! Si on se ramasse, je vais trinquer… Bon ! Martine et Denise, vous avez compris, vous restez à genoux sans bouger jusqu’au noir complet.
    C’était bien lui le seul maître à bord. Déjà, ce type me faisait
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