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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France
Autoren: Pascal Sevran
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est venue m’embrasser sur les joues et décoiffer mes cheveux blonds.
    Elle m’a surpris, penché dans le vide, la poitrine appuyée sur la pierre chaude du rempart. Ce détail n’a aucune importance, il me rappelle pourtant que c’était l’été, et que je portais une chemisette écossaise. La dame me guettait sans doute et je devine maintenant son émotion quand, après m’avoir attrapé dans ses bras, elle m’a demandé si je m’appelais bien Laurent d’Entraigue.
    Elle était mince et plutôt jeune, mais moins chic que Lucienne. Aux mauvais plis de sa robe, on voyait qu’elle venait de voyager ; elle n’avait pas de chapeau et cela a dû m’étonner aussi puisque je m’en souviens précisément.
    J’allais faire ma première communion, et je le lui ai dit, pour dire quelque chose d’intéressant.
    Ça lui a fait plaisir, je crois.
    Elle a sorti une photo ancienne de son sac à main :
    — Regarde, Laurent, comme tu ressemblais déjà à ton papa… C’est lui qui sourit, là dans le fond à côté du sapin de Noël. Tu le reconnais ?
    J’ai dit oui pour aller vite. Mon père souriait rarement, et l’on m’attendait pour déjeuner à la sous-préfecture.
    La dame s’est penchée vers moi en relevant d’un geste doux la mèche de cheveux qui tombait sur ses yeux, puis elle a posé un genou à terre pour attacher le lacet défait de mes chaussures de tennis blanches.
    C’est la preuve évidente qu’elle était bien ma mère. Elle ne m’a rien dit d’aussi grave, mais j’ai compris.
    Le train de marchandises est passé enfin et je n’ai pas pu m’empêcher de compter les wagons.
    Après, le silence de nouveau, troué seulement d’un claquement de talons aiguilles qui s’éloigne avec le sifflement de la locomotive.
    Elle n’avait pas voulu me laisser partir le premier.
    Il était plus tard que d’habitude. La place devant l’église était vide, la pâtissière finissait de recouvrir ses gâteaux à la crème d’une nappe de papier pour les protéger du soleil.
    J’ai couru jusqu’à la sous-préfecture, sans croiser personne, et je suis passé à table sans me laver les mains.
    Mon père a posé ses lunettes sur la pile de dossiers qu’il consultait en permanence. Je me sentais coupable, mais j’ai refusé d’expliquer la trace de rouge à lèvres sur mon front.
    Un soir, quand je raconterai ma petite enfance à quelqu’un qui m’aimera, je commencerai par là.

VI
    En attendant, je ne faisais rien. Mais je savais aussi qu’on ne peut pas indéfiniment regarder des vieux messieurs jouer à la pétanque et n’avoir pour horizon que quelques rues du XII e  arrondissement de Paris.
    À cette époque, d’autres garçons plus gais que moi écoutaient des disques de rock and roll ; d’autres encore se battaient pour la France. Comme je n’aimais ni la guerre ni la musique américaine, je ne les enviais pas, mais la petite vendeuse de chez Goulet-Turpin, qui s’appelait Jeanine, me proposait malgré cela de venir habiter chez elle.
    — Tu pourras écrire des poèmes, et quand tu seras célèbre, on achètera une vraie maison en meulière, près du bois de Vincennes.
    C’était gentil comme proposition mais je n’avais pas vingt ans et je ne me voyais pas en poète de banlieue, amoureux d’une crémière, fût-elle de nature charmante. Non. Ce qui justifiait ma solitude était ailleurs. Pouvait-elle le comprendre ? Je lui disais souvent :
    — On ne fait pas de projets d’avenir quand on ne sait pas d’où l’on vient…
    C’était exactement le genre d’explication qui l’impressionnait.
    Jeanine était plutôt naïve, mais jamais je ne me suis moqué d’elle. On ne pourra pas me reprocher d’avoir fait souffrir les filles !
    Je devinais que mon père avait entretenu de ces victoires faciles qui me faisaient horreur, aussi je ne voulais pas lui ressembler.
    À cause de cela, Maria Luisa Rodriguez, ma mère, avait disparu et je ne savais pas comment faire pour la retrouver, ni même si je devais prendre le risque d’aller la déranger là où elle était.
    Les questions que je me posais n’allaient pas du tout avec un pavillon de meulière et des amis de ma femme, le dimanche à déjeuner.
    M me  Donadieu, qui surveillait beaucoup mes allées et venues, avait d’autres projets pour moi.
    — Un garçon comme vous… quand même, avec une fille plutôt ordinaire, ça ne va pas, vous méritez mieux !
    Tant de complaisance à mon égard
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