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Ridicule

Ridicule

Titel: Ridicule
Autoren: Remi Waterhouse
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désarticulé, abandonné pantelant face au ciel vide lui infligèrent une honte cuisante. Il avait avoué à sa mère quelques jours auparavant sa grande envie d’assister à la mise à mort publique d’un brigand, et sans doute avait-elle rapporté les paroles de Grégoire à son père. Jamais Grégoire n’oublia les larmes de honte qui brouillèrent ses yeux en entendant le bon gentilhomme lui raconter cette agonie. L’inoculation de M. Jenner commençait alors à gagner ses premiers sectateurs, et on en appliquait par analogie les règles aux domaines de la morale, des arts, de l’éducation, de la cuisine et du dressage des chevaux. Son âme d’enfant avaitelle couru un si grand danger pour qu’on l’inoculât contre la curiosité macabre ? En exprimant son désir d’assister à un supplice, Grégoire n’avait fait qu’exercer son droit d’enfant dé n’être pas comptable de ses paroles, mais son père en avait pris connaissance avec le sérieux qu’on attache à l’ouverture d’un testament. Depuis lors, le garçon n’avait plus jamais ignoré le poids de ses paroles, et par là même, avait quitté l’enfance. Ses compagnons de jeu, petits paysans tortionnaires de hannetons, de mouches et de papillons, avaient dû se passer de lui.
    Grégoire venait d’avoir douze ans quand son père mourut, trois ans après que Louis XV fut devenu roi de France et de Dombes, en échange du duché de Gisors et autres menus avantages. Le père et l’enfant n’avaient eu que bien peu de temps pour ces dialogues qui forment le caractère d’un garçon. Chacun, pendant la messe d’enterrement, remarqua avec quelle gravité le garçon dispensait des petites caresses consolatrices à la main maternelle crispée de douleur.
    Le cavalier fut tiré de sa rêverie par des cris de haleurs tirant leur filet. Les claques froides que les poissons se distribuaient aveuglément dans leurs convulsions remplissaient l’atmosphère moite d’un crépitement mouillé. Des flaques noires comme des feuilles de plomb constellaient ce qui avait été un étang, et n’était plus qu’une étendue de boue où s’agitaient des hommes qu’elle semblait avoir modelés. Ponceludon avait arrêté son cheval et considérait le pitoyable spectacle. Il avait retenu des leçons de son père que, s’il faut parfois s’en accommoder, on ne doit jamais prendre son parti d’un ordre injuste des choses.
    Tandis que des femmes attrapaient à la main les poissons oubliés par le ratissage et que secouaient encore des spasmes désespérés, les hommes hissaient le filet au moyen de bâtons fourchus, délimitant une énorme nasse où s’entre-giflaient carpes et tanches.
    Malgré son incroyable vivacité, cette faune froide et muette avait toujours porté aux yeux de Ponceludon la livrée de la mort, la mort des paysans qui crevaient des exhalaisons de la terre trempée, mais aussi de la Mort universelle — celle des gravures moisies qui, la faux à la main, arpente sur ses fémurs les champs stériles.
    Les pêcheurs avaient déversé le contenu du filet dans la « gruyère », long cercueil de bois où les poissons frétillaient dans un tapage visqueux en attendant le triage. Celui-ci mêlait hommes et femmes, en une seule ligne, courbés sur la « gruyère » dans un piétinement sans fin pour ne pas s’enfoncer au-delà des mollets dans le sol spongieux. Les bonds des poissons dans leur gouttière éclaboussaient les visages d’eau boueuse, les épines des poissons-chats ensanglantaient les mains, la boue rendait glissant le chemin à gravir pour gagner le « crochet » où s’effectuait la pesée finale. Tout conspirait à épuiser ces malheureux...
    Les trieurs vaquaient à leurs occupations comme s’ils n’avaient pas remarqué le cavalier qui les observait depuis un bon moment de la lisière du sous-bois. Cette indifférence appuyée n’avait rien pour étonner le jeune homme, car les maîtres avaient mis en garde leurs gens contre les « assécheurs », terme qui désignait en premier lieu Ponceludon. L’assèchement des étangs prôné par ces « faiseurs de contes » férus d’idées modernes leur apporterait la disette, personne n’en doutait. Parmi les silhouettes qui se découpaient sur ce miroitant champ de bataille, Ponceludon fut intrigué par celle, plus statique, plus contrainte, d’une femme. Le cavalier éperonna Butor et s’approcha de la lisière de l’étang où il mit pied à terre.
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