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Ridicule

Ridicule

Titel: Ridicule
Autoren: Remi Waterhouse
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élevait la voix jusqu’à crier. Crier était si peu dans les habitudes de ces beaux esprits compassés, que les seuls cris les jetaient dans la consternation. Quelques-uns parmi eux, pourtant, étaient suspendus aux paroles de l’homme ridicule qui les apostrophait.
    — Qui sera la prochaine victime ? Qui recevra en pleine face un trait si spirituel qu’une famille tombera dans la précarité ?
    Il s’approcha d’un danseur qui recula d’un pas.
    — Vous ?
    Puis d’un autre.
    — Vous, peut-être ? À moins... À moins que vous n’ayez vous-même le bonheur de cracher un bon mot à la figure de votre voisin ?
    Il alla se camper bien en face du sylvain.
    — Monsieur, tombez le masque ! Chacun voudrait connaître l’auteur de... « marquis des Antipodes ».
    Le sylvain se démasqua — c’était le chevalier de Milletail. Enfin, pensait-il, il allait abdiquer du titre infamant de marquis de « Pa-ta-tras » en faveur d’un autre danseur malheureux.
    D’autres, enhardis par son geste, l’imitèrent : Malenval, Closlabbé, puis le chevalier de Saint-Tronchain. La comtesse ne se démasqua pas, bien qu’elle fut la seule connue de Ponceludon parmi les masques. Le jeune homme s’approcha si près d’elle qu’il ne voyait plus que les yeux sous le masque.
    — Je retourne à mon pays pourri, madame ! Ma place est là-bas. Je ferai des canaux, je monterai des digues ! Je creuserai la vase de mes mains s’il le faut...
    Ponceludon rompit le cercle et marcha droit à Mathilde, à qui son père tenait fermement le poignet pour la dissuader de s’approcher de la fosse aux lions. Elle avait laissé tomber son masque sur le sol et, quand il la prit par la main, son père la lui abandonna. Ils quittèrent le salon de Mars ensemble, sans un regard pour tous les inconnus masqués qui les suivaient des yeux. La Gorgone alors seulement enleva son masque, et chacun put voir qu’elle avait pleuré.
    La musique reprit. Les feuilles tombèrent de plus belle. Le vide laissé par Ponceludon et Mathilde fut petit à petit envahi, jusqu’à ce que toute trace de l’incident ait disparu, comme un sillon dans l’eau se referme.

 
    Fragments de notes pour les mémoires du marquis Louis de Bellegarde.
    Ai essuyé hier chez lady Kingston un cuisant ridicule. Je soupais en compagnie d’émigrés français assez en vue, Il y avait là le fameux comte de Rivarol, que j’approchais pour la première fois. Je n’avais pas encore ouvert la bouche, quand la conversation aborda les événements de France.
    — C’est le bel esprit qui nous a perdus ! fis-je remarquer.
    — Que ne nous donniez-vous l’antidote, monsieur de Bellegarde ? me repartit Rivarol, fidèle à sa réputation de vivacité.
    On s’est fort amusé à mes dépens et je ne trouvai rien à répondre. À Versailles, cette pique (Saillie drolatique) m’aurait arraché la vie. Du reste, ici, cela n’a plus guère d’importance. La repartie était
    fine, mais je maintiens que c’est le bel esprit qui nous a perdus.
    Lady Kingston m’a proposé une place de précepteur de ses enfants, mais il faudrait m’exiler en Irlande. J’ai refusé tout net. Qu'irais-je faire dans un endroit pareil ?
    Rude journée pour un homme de mon âge. Retour de Alnwick à Londres, et toujours sans emploi ! Après mes trois jours à l’essai, le duc de Northumberland m’a fait venir dans son cabinet et expliqué que mon anglais était trop défaillant. À quelque chose malheur est bon : le jeune lord était un affreux petit singe qui m’a déchiré une manchette de dentelle par pure méchanceté. Mais il faudra bien trouver un moyen de subsistance, et je ne puis rien faire d’autre que le précepteur.
    J’essaye de reconstituer mon registre perdu, en l’augmentant d’exemples de cet « humour » qui a beaucoup cours ici, et que je commence à entendre. Mais la mémoire me manque, et je crains de ne plus avoir la force d’entreprendre ce travail. Pourtant, il me semble précieux de conserver quelques pépites de ce bel esprit français pour que les générations futures en aient l’idée. L’éloquence bouffie des Danton et des Saint-Just a remplacé chez nous le bel esprit. Qu’en sera-t-il demain ?
    Je gagne ma place à leur table en régalant mes hôtes anglais de récits des meilleurs moments de conversation et de bel esprit français. Combien de temps durera cette existence de mendiant ?
    Ai rencontré M. de Forgerole très agité
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