Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Ridicule

Ridicule

Titel: Ridicule
Autoren: Remi Waterhouse
Vom Netzwerk:
voix parfaitement glacée. Jamais elle n’entrait.
    Blayac entendait parfois ses cris d’animal, au milieu de la nuit, et repensait douloureusement à sa fierté puérile d’autrefois en croisant les femmes de chambre au matin, quand c’était lui qui arrachait de semblables cris à son épouse. Avait-elle feint, avec lui ? Il lui semblait même qu’ils s’étaient aimés, mais il n’était pas certain de n’être tout au plus que la victime d’une nostalgie imaginaire.
    Le comte ne pouvait plus que penser, le jour durant, jusqu’à épuisement, dans l’impossibilité qu’il était de mettre en branle le plus modeste événement autour de lui. Les soeurs ne lui lisaient que des ouvrages pieux sans mettre la moindre douceur dans leur voix, alors il fermait son unique oeil pour qu’elles le croient endormi. Il aurait tant aimé qu’un jour la comtesse ouvre la porte et s’assoie à côté de lui pour lui lire d’une voix douce quelques pages de philosophie, de géométrie, ou même de bigoterie, n’importe ! Mais elle ne venait pas. Enfermé dans ses regrets, l’infirme n’aimait pas être dérangé, et l’imposant visiteur du jour le dévisageait d’un air débonnaire qui ajoutait à son agacement.
    — Vous souvenez-vous de moi, monsieur ? dit le marquis de Milletail. Cherchez bien !
    Le vieux Blayac, malgré son inconfort, se redressa en manoeuvrant le côté encore vivant de sa personne, afin de mettre en avant le ruban bleu du Saint-Esprit qui lui barrait le torse. Il avait réussi, à force de froncements de sourcils, à exiger qu’on l’orne de son Saint-Esprit dans son fauteuil de douleur, même lorsqu’il était seul. La prestigieuse médaille d’argent frappée de la colombe avait été retirée parce qu’elle risquait de lui blesser le côté — lui qui avait chargé à la tête de ses troupes sous la mitraille ! —, mais le souple ruban suffisait à sa dignité et ne risquait pas, au moins, de lui meurtrir les chairs.
    — Ai-je donc tant changé moi aussi ? continuait le visiteur en se penchant comme pour faire admirer ses narines qui frémissaient d’aise.
    — Souvenez-vous... Le « marquis de Pa-ta-tras » !
    L’oeil valide de Blayac, soudain, se désembua. Milletail sut qu’il était entendu.
    — Mais oui, vous y êtes... Lors d’un bal, j’étais tombé en dansant... les quatre fers en l’air.
    Il lui sembla que le vieil homme, dont la mâchoire s’était entrouverte sous le coup de la surprise, avait émis un son imperceptible, une note fantomatique, et le désespoir qu’il avait cru y percevoir l’excitait.
    Ayant jaugé l’effet de sa première salve, le visiteur s’approcha plus près encore du visage de M. de Blayac.
    — « Pa-ta-tras »... Ah, vous aviez beaucoup d’esprit, alors !... À mes dépens, parfois.
    Il se redressa, prenant un ton de grand seigneur de comédie.
    — Qu’importe, on ne s’en lassait pas !
    Le silence qui suivit sembla très long à son hôte forcé.
    Milletail savourait l’instant, plus comme une vieille douleur qui s’évanouissait enfin que comme un vrai plaisir.
    — « Pa-ta-tras »... Comme c’est piquant ! Je ne m’en suis jamais relevé !
    Sa voix, altérée par le souvenir, avait laissé paraître une émotion. La respiration de l’infirme s’accéléra, son oeil cherchait en vain du secours. Au prix d’un effort aussi énorme que dérisoire, sa main s’avança vers une clochette posée à sa droite, sur un plateau. Quand la main tremblante y fut presque, Milletail saisit la clochette le plus tranquillement du monde, et la posa sur la cheminée, hors de portée. Alors il déboutonna lentement sa culotte, toujours causant.
    — Où est-il, maintenant, votre bel esprit ? Envolé ? Quelle perte fâcheuse pour les salons !
    Le comte Amédée de Blayac regardait avec terreur les doigts du visiteur fouiller délicatement dans son linge et en sortir un membre sombre et ridé qu’il dirigea vers lui. Le vieil homme appela de tous ses voeux une mort immédiate et salvatrice, mais seule répondit l’éclaboussure bruyante et presque joyeuse de l’autre qui se soulageait sur lui.
    — J’ai vu bien des pays depuis mon exil, poursuivit le visiteur en pissant distraitement sur le ventre de M. de Blayac, comme s’il se fût agi de la chose la plus naturelle du monde. Et pourtant, je n’ai jamais cessé d’y penser !
    Du côté droit, une sensation de chaleur mouillée envahissait la
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher