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Ridicule

Ridicule

Titel: Ridicule
Autoren: Remi Waterhouse
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cuisse et le bas-ventre de l’infirme, et ses joues devenaient de glace à mesure que le sang se retirait, aspiré par une honte mortelle. Ayant fini de compisser sa victime, le visiteur se reboutonna, joyeux, toujours affable.
    — Mais je sens que je vous fatigue, monsieur ! Je suis si bavard !
    L’« Américain » promenait un regard de flâneur sur les rayons de la bibliothèque. Un mauvais sourire illumina son visage, et il tira un volume.
    — Splendeurs et misères des cinq continents, par le comte A. de Blayac. Je ne vous savais pas amateur de calembours. On vous a connu mieux inspiré !
    Le chevalier de Milletail abandonna le livre en évidence sur la tablette et fit tinter la clochette. La soeur apparut sur-le-champ.
    — Ma soeur, je vais attendre Mme de Blayac au salon et laisser monsieur se reposer.
    — Je vous ai annoncé, dit l’ursuline. Elle est à sa toilette.
    Le visiteur se pencha vers la religieuse avec un air de pudeur un peu pincé.
    — J’ai peur que dans sa joie, M. de Blayac ne se soit oublié.
    En entendant les exclamations de la soeur derrière la porte, Milletail fit trois pas de danse dans le couloir ensoleillé qui le menait au jardin.

 
    II
    « Incidit in Scyllam curans vitare Charybdim Qui stagnum fugiens, incidit in paludem {1} . »
    On avait placardé devant la porte de la grande salle, sous un en-tête de la Société des physiocrates de Lyon : «  Examen des causes d’empoisonnement miasmatique des habitants de la Dombes, par Grégoire Ponceludon de Malavoy, ingénieur hydrographe ; suivi d’une présentation de son nouveau Traité des châtaignes, par l’illustre Antoine Augustin Parmentier, membre éminent du Collège royal de botanique, et d’une réception en son honneur. »
    Certains improvisaient des causeries au-dehors, en attendant que l’interminable examen des causes d’épidémie en Dombes prenne fin, et qu’enfin l’invité d’honneur s’empare de la tribune. Leurs éclats de voix parvenaient à travers les portes de chêne massif jusqu’à la tribune où Grégoire Ponceludon de Malavoy lisait son discours.
    — Rien de plus déplorable que l’état de ce malheureux pays, poursuivait le jeune homme, d’une voix monocorde. Tout y respire la tristesse. Une atmosphère épaisse chargée de miasmes délétères pèse sur la poitrine. L’oeil s’égare dans de vastes solitudes entrecoupées çà et là par de pauvres villages, que relient de mauvais chemins établis sur des chaussées d’étangs et perdus sous la boue. Si on pénètre dans ces lieux où se concentre la misère, rien de plus commun que d’y voir, au moment des chaleurs, des hommes dans la force de l’âge, vaincus par l’épuisement, étendus au soleil pour y « trembler leur fièvre ».
    Les rais acérés de la lumière du jour déclinant tombaient obliques sur l’assemblée, défigurant les faces. Pourtant, en accusant ses traits, ces mêmes rayons sculptaient le beau visage d’Antoine Augustin Parmentier, comme pour une flatteuse postérité. Dans un visage au modelé austère, des yeux tombants et des lèvres ourlées trahissaient son amour du prochain. Pourtant, le regard clair et profond de Parmentier braqué sur lui mortifiait l’orateur. il craignait que le sourire philosophe de l’invité d’honneur ne dissimulât quelque impatience de prendre la parole. Grégoire Ponceludon de Malavoy, malgré sa poitrine oppressée qui faisait sonner sa voix sourde et mate, n’en continuait pas moins son exposé.
    Soudain, il lui sembla que l’homme de la pomme de terre avait deviné son trouble et l’avait encouragé d’un imperceptible hochement de tête. Alors sa voix s’éclaircit, enfla et prit un ascendant définitif sur les raclements de gorge qu’émettaient ces hommes que la somnolence attaquait par les viscères. Les paupières se firent moins lourdes et la chair des visages se raffermit. La décomposition de cette assemblée de savants, précipitée par la chaleur et la digestion, prit soudain un cours inverse — privilège de la matière vivante sur la viande.
    Les auditeurs retenaient leur souffle, maintenant unis par une curiosité contrite. L’énumération circonstanciée des enflures, crevures, pestilences et gangrènes endurées par la chair torturée créait toujours dans l’auditoire un salutaire regain d’intérêt, ce même mélange de chaste répulsion et de curiosité dévorante qui empêche les belles âmes de passer leur
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