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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera
Autoren: Michel Peyramaure
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vers le lit.
     
    Dans la soirée, pour lui faire plaisir, je l’ai amenée plaza de Oriente, où l’on trouve le plus bel assortiment de Madrid en matière de lingerie et de vêtements féminins, et lui ai laissé le soin de s’habiller à la mode de son pays. Elle y a consenti en soupirant, comme si, par ces exigences vestimentaires, je lui remettais le nez dans la bouse de ses origines. Conscient d’un abus de sévérité à son égard, je lui ai suggéré l’achat d’un éventail de Málaga, peint de scènes de feria.
    Au retour, Josefa m’a confié qu’elle avait pris des places pour la corrida du surlendemain.
    — Je les ai réservées côté ombre. Elles sont plus chères que côté soleil mais plus confortables, et ainsi on ne perd rien du spectacle. Elles m’ont coûté… cinquante réaux, mais une dizaine de taureaux seront mis à mort par les meilleurs matadors d’Andalousie.
    Je faillis en avaler mon cigare. Cinquante réaux, c’était environ la moitié d’un mois de solde ! De plus, je ne jugeais pas réjouissant d’aller dans une arène voir torturer et tuer des animaux : il m’aurait suffi de me rendre à la grande boucherie de notre rue, où le spectacle, dans la cour principale, était permanent, très fréquenté et gratuit. Pour amuser le public, les enfants surtout, mais sans ces ridicules affûtiaux qui faisaient des grands toreros des demi-dieux vivants, le boucher se livrait au même genre d’exercice, avec quelques raffinements dans la cruauté.
     
    La grande corrida de printemps durait quatre jours dans l’arène proche de la puerta de Alcala.
    En préambule, pour faire patienter la foule, on avait lâché dans les rues voisines quelques taureaux. Le spectacle, que les fauves aussi semblaient apprécier, était des plus plaisants. Excités par des coups de trique ou de légères blessures au couteau, les taureaux tournoyaient sur eux-mêmes, fonçaient dans le public, piétinaient ou embrochaient les imprudents que des  peones , des domestiques, se hâtaient de soustraire à leur fureur.
    Je dus convenir que Josefa avait fait un bon choix en réservant des places côté ombre, non loin de la tribune occupée par des membres ou des proches de la famille royale, où des dames s’interpellaient avec des cris de pintades en maniant leur éventail. Le sable de l’arène scintillait sous le soleil après avoir bu le sang des taureaux et des chevaux sacrifiés dans la matinée.
    Ce spectacle était le premier auquel il m’eût été donné d’assister depuis mon arrivée à Madrid, et j’avoue que je pris plaisir à cette ambiance festive pleine de chaleur, de couleur et d’enthousiasme populaire.
    Mon ami Lejeune, qui avait déjà vécu ce qu’il considérait comme une épreuve, m’en avait dit le plus grand mal : ce mépris de l’animal et de l’homme était désolant ; on ne le reverrait plus dans un de ces spectacles, si odieux qu’il en avait vomi de dégoût ! Le général comte Léopold Hugo, colosse tonitruant et vulgaire, ne partageait pas cette répulsion. Il nous avait confié, au cours d’un repas, combien ce spectacle, dans lequel il voyait une résurgence digne de la Rome antique, une confrontation entre l’ombre et la lumière, entre le mal et le bien (rien de moins !), le passionnait.
     
    L’affiche du jour annonçait, entre autres toreros, deux illustres matadors : Pepe Hillo, de l’école de Séville, et Pedro Romero, de celle de Ronda. Les taureaux qu’ils auraient à combattre venaient des meilleures ganaderias d’Andalousie. Ce programme promettait de belles émotions. Josefa en frémissait à l’avance en agitant son éventail.
    Moi, capitaine Laurent de Puymège, je ne me cache pas d’avoir subi la fascination de la guerre. Sans faiblesse, du moins en ai-je la conviction, j’ai honoré en toute circonstance mes fonctions d’aide de camp, n’hésitant pas à tirer mon sabre ou à faire usage de mon pistolet contre l’ennemi, toujours avec la certitude de servir ma patrie et l’Empereur. Mais devant le spectacle de cette corrida, sans mépriser le courage des toreros, les jeux étant faussés, je n’étais pas dans les mêmes dispositions : l’homme courait à sa gloire et à sa fortune, non sans quelque risque il est vrai, mais l’animal allait, lui, à sa perte inéluctable. Cette mort-spectacle me répugnait à
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