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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera
Autoren: Michel Peyramaure
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failli être massacrée par les émeutiers dans l’assaut nocturne contre le palais. Ils avaient découvert dans son bagage des coffrets de bijoux et de réaux qui l’avaient fait suspecter de vouloir suivre son amant sur le chemin de l’exil. L’intervention des carabiniers de la garde royale lui avait évité le pire.
     
    Enfermé dans la prison de Pinto puis dans la demeure royale de Villaviciosa, le prince de la Paix avait été libéré au bout d’un mois mais dépouillé de ses titres, d’une partie de sa fortune et de ses biens, sans qu’il pût crier misère car, s’il avait été l’homme le plus riche du pays, on lui avait laissé de quoi vivre comme un nabab.
    Quelques mois plus tard, il allait se retrouver à Bayonne pour une confrontation avec l’Empereur, destinée à sceller le sort du royaume. On l’avait écarté des négociations, faisant ainsi de celui qui avait détenu le pouvoir absolu un simple figurant. Je l’avais rencontré dans les allées du pouvoir, silhouette massive, sombre, d’un abord taciturne, mais chamarré de la tête aux pieds comme une idole.
    Il avait son cabinet au palais mais habitait en marge, dans une somptueuse demeure gardée par des carabiniers, où j’eus l’honneur d’être introduit à l’occasion de je ne sais quelle réception. Il y avait un nombre à peu près égal d’hommes et de femmes, certaines de basse extraction et de moralité douteuse, quelques-unes accompagnées de leurs filles, attifées et grimées comme des prostituées, destinées notamment aux militaires français.
    L’entrée de Godoy était un spectacle. Il quittait ses appartements en tenue de capitaine général ruisselant de dorures et de broderies. Son large chapeau à plumes dans une main, sa canne d’ivoire sculpté dans l’autre, il parcourait la salle de réception entre deux haies de grands personnages choisis parmi les  afrancesados  les plus fidèles et influents.
    Le  teniente  Alarcon m’avait révélé que le prince de la Paix repérait dans l’assistance, d’un simple coup d’œil, la fille qui lui serait sacrifiée pour une ou plusieurs nuits, et que cette infidélité bénigne lui valait les reproches de Pepa Tudo et les criailleries de la reine.
    Alors que je montais en selle pour regagner Madrid, il m’avait fait cette remarque :
    « Je crains que l’Espagne ne gagne rien à ce coup d’État. Au contraire. On vient de changer un cheval borgne contre un cheval aveugle… »
     
    On ne peut me reprocher d’être un coupeur de cheveux en quatre pour ce qui est de la dépense, même si j’ajoute parfois un brin de fantaisie en matière d’économie domestique. Harpagon n’est pas mon modèle. Être esclave de sa cassette ? Dieu m’en préserve !
    À peine de retour d’Aranjuez, une évidence allait s’imposer à moi : en mon absence, Josefa avait renouvelé sa garde-robe, et pas dans le quartier populaire mal nommé, Los Maravillas. J’avais laissé à Madrid une  manola  vêtue avec modestie ; je retrouvai à mon retour une Suzon attifée à la dernière mode de Paris, dans des défroques achetées à la femme d’un officier français. Je la trouvais ridicule et ne le lui envoyai pas dire :
    — Si tu crois que cette défroque va te permettre de rivaliser en élégance avec les Françaises, tu te trompes, ma belle !
    Elle se rebiffa, me traita d’avare et d’ignare en matière de goût. Si je lui refusais de faire honneur, par de modestes dépenses, à la bonne société des  afrancesados , elle s’en chargerait elle-même.
    — Quand comprendras-tu, lui dis-je, que ce que j’apprécie en toi c’est ta propre nature, et que ces vêtements jurent avec elle ? Tu vas rapporter ces oripeaux à ton fripier et remettre les vêtements que tu portais quand je suis parti. Qu’en as-tu fait ?
    Elle me lança, d’un air désinvolte :
    — Pfuitt ! Envolés ! Vendus au même fripier. Je vais donc avoir le choix entre être vêtue à la mode française ou me montrer nue. Qu’en dis-tu, Laurent ? Me voir nue ne t’a jamais offusqué, il me semble.
    Décidée à me narguer, elle commença à se défaire de ses vêtements et à les jeter par la fenêtre, dans le jardin plutôt que dans la rue, afin de pouvoir les repêcher sans en rien perdre. Au final, peu rancunière, elle me prit dans ses bras et, en me mordillant une oreille, m’entraîna
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