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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera
Autoren: Michel Peyramaure
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à une femme mariée de regagner le domicile conjugal après une fugue.
    Je lui fis servir du vin chaud à la cannelle par Héloïse, la fille de Delpeyroux, qui venait chaque jour préparer mes repas et faire le ménage, puis je la conduisis à sa chambre, où elle défit sa malle. Elle s’émut de la retrouver dans l’état où elle l’avait laissée. Elle me montra une liasse de lettres : celles que je lui avais adressées au cours des campagnes qui avaient précédé celle d’Espagne. Il n’en manquait aucune, me dit-elle, et elle les relisait sans cesse, pour se donner l’illusion de ma présence.
     
    Notre vie commune reprit sur les ruines de nos existences antérieures. Tout fut si facile que j’en demeurais ébahi.
    En raison de sa séquestration, Juliette avait un peu forci et ses cheveux avaient grisonné, mais je l’assurai, en mentant un peu, qu’elle n’avait rien perdu de sa beauté et de sa grâce. Elle faisait semblant d’y croire, et nous nous accommodions de ce consensus implicite. Elle était demeurée aussi vive, entreprenante et de belle humeur que par le passé, avec une tendance fastidieuse, envers moi, à des attendrissements pour des bagatelles qui m’échappaient. Elle prenait souvent les attentions que je lui prodiguais pour du repentir, ce qui était un comble !
    Durant quelque temps je m’abstins de la conduire chez mes amis de Lissac, de crainte qu’elle ne reconnût en Laure la promise dont je lui avais parlé. Lorsque je m’y résolus, mademoiselle de Lissac, lasse de mes atermoiements et informée du retour de Juliette, avait épousé un cousin. Nous avons sans peine renoué des liens avec ces anciens amis. Laure ne m’a pas tenu rigueur de ma défection.
     
    Juliette n’a pas tardé à prendre intérêt à mon travail.
    — Tu as raison, me dit-elle, d’avoir entrepris d’écrire ces Mémoires. Tu y prends plaisir et ils seront utiles aux historiens qui se pencheront sur cette époque terrible. Peut-être, quand tu en auras fini, pourras-tu penser à les faire imprimer ?
    Plus lettrée que moi, qui n’ai reçu qu’une éducation de paysan, elle veille à la correction de l’orthographe et du style. Nous nous chamaillons parfois, mais elle finit toujours par triompher, parfois sans modestie.
    Elle a achoppé, sans s’en offusquer, sur l’évocation de mes aventures sentimentales, mais en objectant que cela n’apportait rien à l’intérêt du récit. Je n’étais pas de son avis : ces liaisons de temps de guerre font partie de la vie des soldats et, si elles n’influent en rien sur le cours des événements, elles fleurissent cette énorme nécropole que sont les conflits. Je lui fis comprendre qu’il eût été insolite, dans l’armée impériale comme dans toutes les armées du monde, qu’un officier ou un sans-grade, jeune et normalement constitué, n’eût, pour assouvir les élans de sa virilité, une compensation à ses épreuves. Elle ne put qu’en convenir, et pour cause…
     
    Au début de l’automne, l’année suivante, nous eûmes deux surprises agréables.
    Elle avait fini par obtenir de la famille Dietrich la restitution de son fils, Clément, qu’elle me chargea d’aller prendre à Dijon. Ce garçonnet, après avoir vécu entre les deux fossiles dont m’avait parlé sa mère, s’était montré, une fois libre, turbulent et indiscipliné. Je le pris en main en lui évitant toute contrainte, et l’amenai à considérer la chance qu’il avait de vivre dans une ambiance affectueuse et à en faire bon usage. J’en fis un compagnon le jour où je lui appris à chercher les champignons, à tailler la vigne, à la vendanger et à gauler les noix.
    Au début de l’automne, alors que nous épamprions notre petit vignoble, Juliette se redressa, les mains sur ses reins moulus, essuya son visage baigné de sueur, et me dit :
    — Laurent, je suis fatiguée. Il va falloir que je renonce aux travaux pénibles.
    — Qu’as-tu, ma chérie. Es-tu malade ? Veux-tu que je fasse appeler le médecin de Larche ?
    — Je souffre, oui, mais d’une maladie banale pour les femmes. Pour tout te dire, je suis enceinte de deux mois. Si j’ai tardé à te l’apprendre, c’est que je n’étais pas sûre. Aujourd’hui, je le suis.
    Jamais l’automne, dans cette contrée bénie des dieux, n’avait eu pour moi un tel goût de
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