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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera
Autoren: Michel Peyramaure
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seul, je n’acceptai que la table, du moins pour quelques jours, du fait que je ne disposais d’aucune nourriture.
     
    En pénétrant, une chandelle à la main, dans le château, je fus frappé par une odeur de renfermé qui me rappela celle de la maison abandonnée de Cordoue où j’avais passé trois nuits lors du sac de la cité. C’était la même fragrance de vieilles étoffes, de cuir fatigué, de rats crevés. Recouverts de vieux draps rapetassés, les meubles évoquaient une veillée funèbre.
    Je me laissai tomber sur mon lit, rongé d’affliction, au bord des larmes, et sans me dévêtir, emmitouflé dans des couvertures poussiéreuses, je m’endormis d’un sommeil réparateur.
     
    Éveillé avec l’aube, j’empruntai à Delpeyroux la mule et la carriole dont il se servait pour aller vendre ses produits sur le marché de Brive. L’idée m’était venue, entre deux cauchemars, de rendre visite à mes beaux-parents pour tâcher d’avoir des nouvelles de Juliette et de notre fils. Ils habitaient un manoir, entre Chancelade et Périgueux, sur une rive de l’Isle. Nous y passions, une ou deux fois l’an, Juliette et moi, des journées fort ennuyeuses, face à deux vieillards qui ne prenaient d’intérêt que pour leur santé et la situation de leurs finances, confiées à un notaire qui les grugeait.
    Du couple, il ne restait qu’une épave larmoyante, mon beau-père, ruiné et malade, qui eut du mal à me reconnaître et n’insista pas pour me retenir. Des nouvelles de Juliette ? Il sortit d’un tiroir la seule lettre qu’il eût reçue après sa fugue : elle avait été postée à Perpignan, à quelques jours de l’entrée du capitaine Dietrich en Espagne ; Juliette se déclarait navrée de sa décision mais ne parlait ni de moi ni de l’éventualité de son retour.
    — Et notre fils, demandai-je au vieillard, savez-vous ce qu’il est devenu ? A-t-il suivi sa mère en Espagne ?
    Il prit son cornet acoustique et me fit répéter ma question. Non, Eugène n’avait pas suivi la fugueuse ; il avait résidé un an chez ses grands-parents, puis était parti pour Dijon, chez un oncle, afin d’y poursuivre ses études et d’entrer dans la carrière des armes. Je relevai son adresse en me proposant de lui écrire, ne serait-ce que pour le faire changer d’avis.
    J’allais quitter le vieil homme quand il s’engagea dans une diatribe contre sa fille, responsable, disait-il, de la mort de sa femme, qui n’avait pu supporter le scandale. Il voulait quant à lui oublier « cette catin » et me suggéra de faire de même.
     
    Telle n’était pas mon intention.
    Loin de renoncer à l’idée de revoir Juliette, j’étais pris de l’ardent désir qu’elle me revînt. J’imaginais la scène : elle se jetait dans mes bras, implorait mon pardon avec des larmes de repentir, et la vie reprenait son cours. J’étais de plus en plus persuadé que cette fugue aurait une fin prochaine, avec le retrait du territoire espagnol des troupes impériales. S’il fallait trouver une excuse, c’était celle de ma longue absence, de mon silence, de cette guerre qui n’en finissait pas.
    Avant mon départ aux armées, nous passions auprès de nos amis pour un couple uni, sans l’ombre d’une discorde. Juliette n’avait pu l’oublier ; si elle retrouvait un jour sa liberté, elle me reviendrait, à moins… à moins que la guerre ne lui eût été fatale.
    Je n’avais pas de mal à imaginer les souffrances qu’elle avait dû traverser en restant des années sans nouvelles. En fouillant dans les papiers qu’elle avait laissés, je ne trouvai pas trace des messages que je lui avais adressés, sauf celui que j’avais confié à l’esclave noir, à Cabrera.
     
    De retour à Puymège, je fus informé par Delpeyroux de la visite, en mon absence, d’un magistrat de Terrasson candidat à l’achat de Puymège, château et domaine. Je lui écrivis pour lui dire de renoncer à son projet, mais qu’il serait le bienvenu sous mon toit.
    Pour subsister, je vendis quelques arpents de mes chênes truffiers de Gramont, dont Delpeyroux avait assuré l’exploitation. Il en avait tiré, l’année précédente, une centaine de kilos. De même pour la noyeraie, dont il vendait les fruits sur les marchés de la région. Il tint à me remettre ce qu’il avait retiré de ces récoltes et qui constituait
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