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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera
Autoren: Michel Peyramaure
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détachement et, mes pistolets dans ma ceinture, accompagné de deux hussards armés d’un fusil, je pris la direction du palais royal, dans l’intention d’y retrouver le  teniente  Alarcon. Je fus stupéfait de l’entendre me dire que j’arrivais trop tard, l’« abcès étant crevé », et que ces clameurs saluaient les membres de la famille royale demeurant encore à Madrid : la fille des souverains, Maria Luisa, épouse du roi d’Étrurie, l’infant don Francisco, duc de Cadix, âgé de quatorze ans, et son oncle, don Antonio.
    Alarcon me raconta qu’au cours de la nuit les  campesinos , après un simulacre de résistance de la part de la garde royale, avaient envahi le palais à la lueur des torches de résine pour débusquer Manuel Godoy. Ils commençaient à désespérer de le retrouver dans cette vaste bâtisse, quand l’idée leur vint de fouiller les combles. Ils en avaient délogé le prince de la Paix enfoui sous un monceau de vieilles tapisseries, tenant d’une main tremblante un pistolet dont il jugea dangereux et inutile de faire usage.
    —  Capit á n , me dit Alarcon, veuillez me suivre, je vous montrerai le monstre hors de sa tanière. Un spectacle à ne pas manquer…
    Les émeutiers avaient abandonné leur victime pantelante sur les premières marches de l’escalier intérieur avant de la transférer dans le salon de Porcelaine. Nous trouvâmes Manuel Godoy effondré dans un fauteuil, sa chemise de nuit à demi arrachée, le corps et le visage martelés de coups, mais encore vivant. Il avait l’air d’un pantin désarticulé, déchiqueté par un enfant cruel. Je demandai à José Alarcon ce qu’on allait faire de lui.
    — Dans un premier temps, me dit-il, lui redonner apparence humaine, le soigner, puis le ramener à Madrid, où une geôle l’attend.
    — Va-t-on le fusiller, le pendre peut-être ?
    — Ce serait une erreur ! On en ferait un martyr. C’est pourtant ce qui a failli lui arriver. L’un des chefs du complot, le comte de Montijo, avait prévu de l’exécuter sur-le-champ, mais Ferdinand s’y est opposé : il tient à le ramener vivant à Madrid, tel un triomphateur de la Rome antique.
    Je demandai à Alarcon qui était cette femme assise dans l’embrasure d’une fenêtre, emmitouflée dans sa mantille, un mouchoir sur le visage.
    — On pourrait croire, me dit-il, qu’il s’agit de son épouse, Marie-Thérèse de Bourbon. En fait, c’est sa maîtresse, Pepa Tudo, comtesse de Castillo-Fiel… Elle ne l’a jamais quitté depuis quelques années et lui est restée fidèle.
     
    L’émeute maîtrisée, les  campesinos  rentrés dans leur foyer, des entretiens devant aboutir à l’abdication du vieux roi allaient débuter dans le palais. Il n’en filtra rien.
    Le lendemain, après un semblant de réjouissances destinées à célébrer l’avènement du nouveau souverain, le cortège royal reprit le chemin de Madrid. On avait hissé le prince de la Paix, enferré aux mains et aux pieds, dans une charrette tirée par des bœufs. C’est avec une sensation de dégoût que j’avais consenti à lever mon verre à la santé du roi Ferdinand, outré qu’il n’eût pas daigné adresser la parole au représentant de l’armée impériale que j’étais en l’occurrence. Ce comportement dédaigneux et insolite fut l’objet du dernier message que j’envoyai à Joachim Murat.
    À la réflexion, cet adolescent prolongé (il avait vingt-quatre ans) était plus à plaindre qu’à blâmer. Doté du visage ingrat de sa mère, de l’allure pataude de son père et d’une intelligence inférieure à la moyenne, il nourrissait des ambitions sans commune mesure avec ses capacités. En l’absence d’affection de la part de ses parents, son enfance et son adolescence s’étaient déroulées dans l’ombre de Godoy, qu’il détestait et qui le méprisait.
    Comment, me demandais-je, ce fantoche allait-il réagir face à une puissante armée étrangère qui, sous couvert d’un transit, occupait bel et bien le royaume ? Et quelle attitude adopterait-il face à la junte – le gouvernement – qui n’avait pas été consultée sur ce coup d’État ?
    Dans le cortège du retour, je me trouvai à proximité du carrosse où avait pris place la maîtresse de Godoy, la pauvre Pepa Tudo, accompagnée de ses dames. Alarcon m’avait raconté qu’elle avait
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