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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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démesurée, et semblait reculer au fur et à mesure qu’il avançait.
    Deux bâtiments brûlaient, une sorte d’étable et la ferme elle-même. Des bruits terribles semblables à des raclements de pelle emplissaient la nuit et ils mirent quelques secondes à comprendre qu’il s’agissait de vaches prisonnières qui meuglaient à s’en arracher la gorge.
    Guillaume donna des ordres brefs. Les soldats se regardèrent en hésitant puis obéirent sans rechigner. Ils s’empressèrent d’aller libérer les bêtes. Quelques cadavres grillaient déjà sur lesquels jaillissaient, de temps en temps, avec une forte odeur de graisse, de longues flammes d’un jaune tranchant.
    — Là-haut ! cria l’un des soldats.
    Guillaume suivit son regard. Des silhouettes se dressaient, en équilibre, au bord du toit. Un homme et une femme sans doute, les bras ouverts, immobiles, comme tétanisés. Par la porte ouverte de la grange et les fenêtres sans persiennes, la danse des flammes offrait un spectacle d’une beauté vertigineuse. Une partie du rez-de-chaussée était déjà calcinée et les poutres maîtresses menaçaient de s’effondrer.
    — Nous ne pourrons passer par l’intérieur, dit Guillaume en reculant.
    Seuls les murs de pierre que le feu vernissait d’un noir luisant paraissaient capables de tenir longtemps. Ils tentèrent de dresser un échafaudage en s’aidant de madriers et de barriques. Mais la hauteur en était dérisoire. Ce fut l’un des soldats qui découvrit de l’autre côté l’échelle posée en long sur le sol.
    — C’est à croire qu’elle nous attendait.
    Ils se précipitèrent, la soulevèrent sans difficulté et réussirent à l’adosser à la partie la plus préservée du bâtiment.
    — Tenez-la solidement, cria Guillaume.
    Et il commença à grimper. Mais il était gêné par le feu qui sortait des fenêtres et venait lécher les barreaux. Il ne se tenait que d’une main, continuant à se protéger de son bras enroulé dans la cape. La chaleur était insupportable. Il était aveuglé par sa propre sueur. Des odeurs de viande et de lard grillés, si lourdes et si denses qu’il était tenté de les repousser avec la main et le pied, s’enroulaient sur son corps et semblaient vouloir le faire tomber. N’était-ce pas son propre cuir qui était en train de rôtir ?
    Il mit de longues minutes à atteindre le toit. L’homme et la femme n’avaient pas bougé, appuyés à la cheminée, comme absorbés par le lent exode, au-dessus d’eux, de nuages gonflés de sang. Il cria aussi fort qu’il put mais le feu faisait un vacarme assourdissant. Alors, à la force des bras, il se hissa. Le bâtiment n’était plus qu’une carcasse fumante et menaçait de s’effondrer à tout instant. Il courut vers les deux silhouettes en hurlant sa colère. Il saisit la première par le bras et celui-ci lui resta dans la main.
    — Par le diable… ! murmura-t-il.
    Ce n’était que deux pantins habillés de paille, des épouvantails grossiers. Guillaume ne comprenait pas. Il restait là, le faux membre à la main, épuisé, trempé de sueur. La nuit avait maintenant des reflets de velours. De grands arbres calcinés fumaient au-dessus du fleuve et doublaient leur silhouette de potence dans les eaux couvertes de cendres. La lune rousse titubait. Elle roulait entre les ramures incendiées, partait, revenait, semblait, comme les vaches libérées, hagarde et incapable de fuir, hypnotisée par la beauté luciférienne du spectacle.
    — Pourquoi ? balbutiait Guillaume. Pourquoi ?
    Les soldats s’époumonaient pour l’inciter à descendre. Il essayait de réfléchir. À quoi rimait cette mise en scène ? L’évidence lui vint comme un coup de poing dans le ventre. Il descendit l’échelle en manquant de se rompre les os.
    — Vite, cria-t-il. Vite, au carrosse !
    Guillaume était presque méconnaissable, les cheveux en bataille, la peau rougie, les joues maculées de suie. Il sortit son épée et partit à grandes foulées. Un cheval, les rênes flottant dans le vide, vint au galop à leur rencontre et les dépassa sans une hésitation. Ils durent enjamber le corps d’un homme.
    — C’est Horace, l’un des laquais.
    Son crâne avait été fracassé et déversait un liquide noir sur l’herbe verte.
    Le carrosse leur apparut au milieu de la route, les portières ouvertes. Les chevaux tournaient autour sans savoir quoi faire. Ils découvrirent trois autres corps allongés dans
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