Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
Vom Netzwerk:
l’oeil noir où dansaient l’eau du fleuve et les flammes de l’incendie. Le vent léger charriait les odeurs de brûlé jusqu’au fond de leurs gorges. Les paillettes argentées collées à leurs cheveux, à leurs cils, aux poils de leurs moustaches, en les sablant de blanc, les vieillissaient d’un coup.
    « Il m’a confié sa femme, pensait Guillaume. M. de Saintonges a sollicité ma protection et je n’ai pas été capable de la lui donner. »

CHAPITRE III
    1.
    — N’avancez plus, messieurs, ou vous êtes des hommes morts !
    Au-dessus de Guillaume et de ses compagnons, des silhouettes se détachaient dans le clair-obscur. Des lanternes jusque-là cachées éclairèrent jusqu’au carrosse de Mme de Saintonges qu’on devinait en arrière-plan. Ils étaient braqués par plus de dix arquebuses, tenues par des hommes vêtus de noir et portant un chapeau carré, disposés autour de la voiture et tout le long de la route, en formation quasi militaire.
    — Veuillez vous avancer vers la lumière !
    C’était dit d’une voix forte mais monocorde, comme des consignes que l’on récitait. Ils s’exécutèrent. Sans doute était-ce la sénéchaussée. Mais les arquebusiers disposés en un demi-cercle parfait au-dessus d’eux ne portaient aucun uniforme, même s’ils étaient tous revêtus, à peu de chose près, de la même casaque.
    — Déclinez vos identités !
    Celui qui donnait les ordres était à mi-hauteur de la butte. C’était un gaillard d’une quarantaine d’années, avec un nez épaté et des joues vergetées de fils roses. Du mauvais soldat, jugea Guillaume.
    — Je suis procureur du Roi, dit-il en posant lentement sa main sur le pommeau de son épée.
    L’annonce n’eut pas l’air de les impressionner. Un grand maigre qui portait son chapeau accroché à la ceinture fit quelques pas dans leur direction pour les éclairer de sa lanterne. Il descendit lentement, enfonçant ses talons dans la terre qui s’éboulait.
    Guillaume fit un geste et aussitôt il y eut des mouvements nerveux parmi les hommes qui lui faisaient face.
    — Nous n’hésiterons pas à vous abattre, reprit celui qui commandait. Et nous en serons peinés car la prime est plus forte si le faux saunier est ramené vif.
    — Vous êtes des gabelous ?
    — Si fait, monsieur. Et vous-même, qui êtes-vous ?
    C’était donc des hommes à la solde de la Ferme générale. Guillaume avait eu quelquefois affaire à elle. Depuis 1680, cette société de financiers avait pris à bail le produit des taxes royales, au premier rang desquelles venait la gabelle du sel, et en assurait le recouvrement moyennant un substantiel bénéfice. Pour contenir la fraude dans des limites raisonnables, la Ferme entretenait à grands frais sa propre police douanière, forte, disait-on, d’une quinzaine de milliers d’hommes, soit un effectif cinq fois supérieur à celui de l’ensemble de la maréchaussée du royaume. Ces gabelous ne craignaient que leurs maîtres et le diable. Ils avaient le droit de porter armes. Ils pouvaient perquisitionner en tout lieu, à toute heure et chez des personnes de toute condition. Ils étaient autorisés à procéder aux arrestations et « engeôlages » même démunis d’ordonnance de prise de corps. Et sans doute, en effet, n’hésiteraient-ils pas à tirer sans autre forme de procès.
    — Vous trouverez plus bas le cadavre de l’un de ces brigands, dit Guillaume. Nous étions, comme ces gens qui ont été tués, chargés de la protection de ce carrosse.
    — Félicitations ! Vous avez eu bien plus de chance qu’eux !
    Ces paroles avaient été criées sur un ton de grande ironie. L’auteur en était un homme penché à la fenêtre d’une petite voiture que le carrosse dissimulait à moitié. Il en descendit en toussant. Sa silhouette fragile contrastait avec celles robustes des gabelous. Il était, comme eux, tout de noir vêtu, en bottes et sans perruque. Une cravate de dentelle blanche venait seule troubler l’austérité de son accoutrement. Ses cheveux étaient blonds et pâles comme le chanvre. Sa figure était livide, tout en os, avec des lèvres d’une couleur de rose séchée et des yeux brillants, curieusement fixes. Des yeux si singuliers que Guillaume les reconnut sur l’instant. Il avait devant lui ce conseiller du cabinet du Roi, du nom de Chabas, chargé à l’époque des questions religieuses, qui avait débarqué un matin à Seyneles-Alpes. À la tête d’une
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher