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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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Mais celle-là était une petite vieille, fragile comme un fagot, un peu courbée et le visage tout chiffonné.
    — Approchez-vous, mes mignonnes, dit-elle avec une voix cassée.
    Elle se posta dessous leur nez et les observa l’une après l’autre.
    — C’est vous, n’est-ce pas ? dit-elle à Delphine. Quel est votre souci ?
    — Elle veut un enfant, dit Jeannette très vite. Elle a beau faire, il ne vient pas.
    — Je vois. D’abord un peu de chaleur.
    La vieille se pencha vers une mauvaise cheminée de pierre. Elle souffla sur un maigre feu de ronces et d’ajoncs, puis, dans le crépitement des branches sèches, elle s’installa sur une chaise basse devant l’âtre. La flamme sculptait son visage et accentuait le creux de ses joues, les orbites profondes de ses yeux.
    — Je dois vous toucher, dit-elle en clignant des paupières. Vous devez tomber la robe.
    Des courses de rats froissaient la paille sèche.
    — Non. Non, dit Delphine. Je me suis trompée. Je ne peux pas.
    Mais Jeannette l’aida à se défaire du corset, à ôter les manches. L’amas de mousseline s’effondra autour d’elle dans un crissement d’étoffe froissée. La vieille soupesa d’un regard les seins fermes dans l’échancrure ombreuse du corsage. Elle glissa la main sous les jupons et lui tâta le ventre.
    — Je vous donnerai du lait, dit-elle, du lait de femme allaitant son premier enfant mâle. Il faudra en boire tous les jours. Et la copulation devra toujours se faire le deuxième jour du mois, le plus favorable à la procréation parce que Ève a été formée la deuxième journée.
    De ses mains desséchées, elle lui ouvrit brusquement les genoux. Elle se pencha et fit sur son intimité comme un signe de croix, mais en sens inversé. Delphine était cadavéreuse. Elle tremblait de la tête aux pieds. Mon Dieu ! pensait-elle, si Guillaume me voyait.
    — Soyez rassurée, mon enfant. Vous êtes aussi fertile qu’un champ de blé.
    La vieille se leva et prit dans l’âtre un peu de cendres chaudes. Elle souffla dessus une longue minute puis vint les frotter sur la paume ouverte de Delphine.
    — Et lui ? demanda-t-elle en observant les traces laissées par les cendres. Lui, vous ne m’en avez pas parlé. Il vous aime aussi, c’est une évidence. Mais il s’éloigne. C’est cela ?
    La jeune femme ne répondit pas mais elle fronça légèrement les sourcils et baissa un peu la tête.
    — Il s’éloigne, je le sens, et avec lui cet enfant que vous devez faire ensemble.
    Cette fois, Delphine retira brutalement sa main. Elle ramassa d’un geste sa robe.
    — Je dois m’en aller, madame. En vous remerciant pour…
    — Il s’éloigne, ma fille, et il ne faut pas le laisser faire. Il faut le suivre.
    — Mais pourquoi…, ne put s’empêcher de demander Delphine. Pourquoi me fuit-il ?
    — Il ne vous fuit pas. Mais il est plein de sel. Le sel le recouvre. Il doit se battre contre des tempêtes de sel.
    — Du sel ? Mais que vient faire le sel ?
    La vieille dédaigna de lever les yeux ; elle se contenta de reprendre la main de Delphine, de l’ouvrir de nouveau en la tournant vers la lumière de l’âtre.
    — Le sel peut être ami ou ennemi. Il stérilise. Il brûle les terres fertiles. Mais il conserve les aliments, il purifie aussi. C’est à vous de choisir s’il vous détruira ou vous rendra plus forts.
    — Je dois y aller, dit encore Delphine.
    Elle ramena sa robe contre elle et sortit presque en courant. Dehors, une lune pâle perçait maintenant les nuages et couvrait d’argent l’eau des flaques. Sous sa lumière éteinte, la plaine semblait noyée sous des coulées d’étain. Le froid hachait les êtres et les choses et, sans une hésitation, elle s’offrit avec volupté au tranchant de sa hache.

    3.
    M. de Lautaret mit pied à terre et confia son cheval à l’un des porteurs de flambeau qui ne savait plus que faire de son brandon ridicule face à l’embrasement. Le feu avait gagné la forêt toute proche et les arbres s’allumaient un à un, s’enflammaient comme de longues rangées de torches.
    — Faites comme moi, dit Guillaume aux deux soldats qui l’avaient rejoint.
    Il s’accroupit au bord de la rive, trempa sa cape dans l’eau puis l’enroula autour de son bras gauche. S’en servant comme d’une protection, il contourna la butte et marcha résolument au-devant du brasier.
    Son ombre, face à la lumière des flammes, s’allongeait derrière lui, effilée,
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