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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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l’invite d’un sourire, d’un regard clair insistant, d’un de ces regards de femmes qui trouvent sans détour le chemin du coeur des hommes. Et lui, qui avait toujours éprouvé une grande tendresse pour ces dames qui, le soir venant, loin de renoncer aux sortilèges dont elles usaient du temps où elles étaient jeunes, allaient comme si de rien n’était et poursuivaient leurs danses de séduction, il accepta.
    — Je vous la confie, murmura M. de Saintonges en lui serrant les mains.

CHAPITRE II
    1.
    Entre le ciel couleur de vase et la campagne couverte de brume, ce n’était d’abord qu’un chapelet de bruits, des ressorts de voiture, des claquements de sabots et tout un cliquetis de gourmettes et de mors. Puis des douceurs se déchiraient ; des silences de cristal volaient en éclats tranchants comme du verre. Des couleurs mortes, ensevelies, flambaient soudainement. On devinait des lumières, les lanternes accrochées à un carrosse tiré par quatre chevaux et, parmi les cavaliers qui allaient à trot soutenu sur la route de Paris, les lueurs dansantes de torches.
    Le carrosse avait sauté tout le jour dans les ornières. Mme de Saintonges s’en accommodait comme d’une fatalité. Tout brinquebalait autour d’elle : le cocher sur son siège, les laquais accrochés à la caisse, les malles sur le porte-bagages, jusqu’aux bajoues de l’abbé Sudre endormi dans l’angle opposé. La vie, pensa-t-elle, n’est jamais rien d’autre que cela : une fuite ballottée sur une route de campagne.
    Elle était lasse, d’une lassitude reposante et presque réconfortante. Sa main se posait sur le rebord de la fenêtre de la voiture, y pianotait du bout des doigts, puis revenait jouer avec les perles de son collier. Elle trouvait soudain à l’existence un charme indéfinissable. Le dernier soleil perçait à travers les brouillards et jouait avec les nuages comme un boucher avec les lames de ses couteaux. Il jetait de longues giclées de sang sur les dorures des portières et les ferrures des bagages, sur les boucles des harnais des chevaux, sur chacune de ses bagues. Au-dessus des joncs, à la lumière rasante du soleil couchant, des libellules s’allumaient dans l’air. Des vapeurs se décrochaient des arbres, déroulaient leurs volutes, tournaient lentement sur elles-mêmes puis rejoignaient les brumes de l’eau. Parfois, par le rideau de cuir soulevé, elle cherchait à voir le visage de ce M. de Lautaret qui avait accepté de se joindre à eux. L’idée avait été de son mari et elle s’y était d’abord opposée, effrayée de se fier ainsi à un inconnu. Mais il était vrai que s’ils faisaient mauvaise rencontre leurs gens leur seraient de faible secours. Quelques laquais et trois vieux soldats du régiment de son mari n’étaient pas une escorte suffisante.
    Ce gentilhomme, procureur du Roi, était à l’évidence d’une autre trempe. Il semblait peser à peine sur sa monture, comme soulevé par sa cape et les plumes de son chapeau. Elle se pencha un peu pour apercevoir son profil, éclairé de biais par le feu d’une torche : le front bombé et l’oeil brillant, le nez aquilin et la moustache rousse moussant sur une bouche volontaire. Elle ferma les paupières et resta quelques longues minutes, chahutée par les soubresauts de la route, un sourire posé en équilibre sur ses lèvres, à se laisser prendre par l’odeur insistante du fleuve, par la musique saccadée des sabots et des roues dans la boue, par l’ensorcellement de rêves délicieux d’enlèvements au clair de lune par des chevaliers de conte de fées.
    Et puis il y eut quelque chose. Quoi ? elle n’aurait su le dire. Le ciel venait de vibrer d’un seul coup et la terre paraissait en frémir jusque dans ses profondeurs. Elle écarta de nouveau le rideau. Quelque chose de sec et d’orangé flottait dans l’air et l’haleine du fleuve était maintenant couverte par une odeur envoûtante, un mélange d’herbe grasse et de fleurs séchées. Elle tenta de passer la tête par la fenêtre.
    Un des porteurs de torche vint à sa hauteur et lui cria :
    — C’est un incendie, madame !
    — Un incendie ?
    — Oui, madame, sur le chemin, à moins d’une lieue d’ici.
    Guillaume fit à son tour l’effort de s’approcher de la fenêtre.
    — Avec votre permission, madame, il nous faut leur porter secours.
    Il avait les yeux clairs, une fossette au menton et dans la voix toute une force contenue. Des moucherons
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