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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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et des papillons de nuit, attirés par les lanternes de la voiture, lui tournaient autour et semblaient vouloir se poser dans les plumes de son chapeau.
    Elle fit un geste évasif de la main, un geste qui ne voulait rien dire, ni oui ni non. L’important, monsieur, semblait-elle penser, c’est que vous restiez à mon côté.
    Guillaume demanda au cocher d’accélérer l’allure et tout prit une cadence extraordinaire, jusqu’au coeur de Mme de Saintonges dont le tambour résonnait grave et lourd. Elle ne quittait plus son sourire. Elle passa la tête pour apercevoir le brasier, mais elle ne vit que les capes des cavaliers qui claquaient dans le soir et, sombrant au milieu des roseaux, un soleil énorme et safrané, traversé par des ombres d’oiseaux.
    L’abbé dormait toujours. Sa perruque avait glissé sur son front. Le gras de son double menton tressautait par-dessus sa cravate. Des gouttes de sueur traçaient des sillons de bronze sur ses joues d’un rouge d’émaux.
    La voiture ralentit, s’arrêta. L’air était plein de paillettes et d’étincelles, d’odeurs puissantes qui faisaient tourner la tête. Les couleurs s’affolaient. Le ciel se couvrait d’un jaune magique tout balafré de grandes cicatrices rouges. On entendait craquer des arbres et s’effondrer des branches. Il faisait chaud à se déshabiller et à se jeter toute nue dans le fleuve.
    Guillaume de Lautaret s’approcha de nouveau. Il avait ôté son chapeau. Ses yeux avaient des reflets d’émeraude. Des mèches de ses cheveux s’étaient collées sur son front.
    — L’incendie est de l’autre côté de la butte. J’y vais avec un porteur de torche et deux de vos soldats, madame. Il y a peut-être des vies à sauver. Ici, vous êtes en sûreté. Ne bougez pas, je vous en conjure.
    Elle laissa son regard dans le sien plus qu’il n’était convenable.

    2.
    Les femmes sortaient des lavoirs, chargées de paquets de linge mouillé, frôlant des chevaux que des enfants à moitié nus ramenaient de l’abreuvoir. Des oiseaux voletaient au ras de l’eau des puits. Le soleil couchant n’en finissait pas de mourir. Delphine et Jeannette, la femme de chambre de Mme de Beaumont, marchaient d’un pas rapide entre les arbres usés de gel et de vent. Des nuages couleur de glaise, encagoulés comme des moines, s’en allaient vers l’ouest, en procession, dans un silence religieux et semblaient les accompagner sur ce chemin boueux.
    — Vous verrez, lui avait dit Jeannette, elle est très douce et connaît les mystères de la vie. Elle « raccommode » les filles qui ne sont plus pucelles avec l’alun de roche et le sel de Saturne. Elle empêche la venue des enfants ou elle les fait venir, selon ce que l’on désire.
    — Il y a des femmes, murmura Delphine, qui ne veulent pas d’enfants ?
    Jeannette la regarda en écarquillant des yeux. Se pouvait-il que Madame ignorât comment étaient les choses ? La disette et la guerre avaient jeté les maris sur les chemins. Ils avaient été enrôlés par les armées de passage ou alors ils étaient partis d’eux-mêmes chercher ailleurs un gagne-pain ou l’aumône, une fois leur foyer dévasté et leurs champs foulés par les soudards. Pour celles qui restaient jeunes et présentables, que faire d’autre sinon que de se vendre ?
    — Je ne devrais pas, dit encore Delphine. C’est ridicule.
    Elle avait attendu le départ de Guillaume pour se laisser convaincre par la femme de chambre. Et elle était honteuse de n’avoir pas résisté davantage.
    — Elle vous rassurera. Elle vous fera profiter de ses dons.
    C’était Jeannette qui lui avait proposé de rencontrer la femme. Elle avait surpris Delphine un matin devant sa glace, un coussin passé sous sa robe de chambre et elle avait deviné. Quel mal pouvait-il y avoir à recourir aux services d’une sage-dame ?
    — C’est là, dit Jeannette en montrant du doigt une chaumière dont la fumée montait toute droite dans le ciel.
    Elles étaient attendues. Jeannette entra sans frapper. C’était une salle nue, badigeonnée d’un plâtre sale, sans autre ouverture qu’une étroite lucarne, avec sur le sol de la mauvaise paille. Une odeur forte de laine et de fumier flottait dans l’air.
    La femme se retourna et Delphine marqua un mouvement de recul. Elle s’attendait à rencontrer l’une de ces créatures étranges qui se piquaient de magie, sauvages et un peu bohémiennes, semblables à la Naïsse de Seyne-les-Alpes.
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