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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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putain de prière.
    Il se mit à rire en jetant les dés. Mais Cassin les arrêta du plat de la main. Il n’avait pas trente ans, un visage de fille, une peau si pâle et si transparente que l’on voyait dessous courir les veines.
    — L’Orfèvre veut que je te fasse répéter, dit-il en plissant les yeux. C’est la condition pour que tu sortes.
    Fouchard garda un instant le silence et l’on n’entendit plus que le couinement des cordes et le claquement de la voile. Puis, lentement, il égraina les noms.
    — Bien, dit Cassin en lui rendant les dés. J’ai autre chose pour toi.
    Il sortit de son sac un objet enveloppé dans un drap et qu’il posa devant Fouchard.
    — C’est pour la femme. Tu n’as pas oublié ? Cassin défit le paquet. C’était un oiseau blanc, empaillé, les ailes déployées, un de ces gabians qui tournaient au-dessus du port tout le jour. En le voyant, Fouchard poussa un cri très bref et il eut un mouvement léger de recul.
    — La femme ?
    — Tu dois payer la dette, n’oublie pas, dit Fagot en lui tapant légèrement sur l’épaule.
    — Tu as six mois, pas un jour de plus, reprit Cassin. Tu te rappelles ?
    Fouchard n’avait plus le goût à boire. Il restait là, un peu hébété, incapable d’un geste ou d’une parole, les yeux fixés sur l’oiseau blanc, avec ce vent terrible, tout pailleté de braises et d’odeurs du large, qui, autour de lui, fouettait le monde à tour de bras.
    — Écoutez, les gars, dit-il au bout d’un moment, pour le sel, il n’y a pas de problème. C’est même inespéré. Je porterai les sacs moi-même sur l’épaule, s’il le faut. Mais pour la femme, c’est une autre paire de manches. Je ne suis pas sûr que je pourrai.
    Le visage de Cassin devint plus pâle que la lune.
    — Tu n’as pas le choix. Mets-toi bien ça dans la tête ! Tu sais qu’il te retrouverait si tu échouais. Tu finirais comme cet oiseau !
    Fouchard ne parvenait pas à détacher ses yeux du gabian empaillé auquel le vent et la lumière des étoiles, jouant sur le plumage, semblaient vouloir redonner vie. Il finit par acquiescer de la tête.
    — Et tu as intérêt à lui faire la peau exactement comme on t’a dit ! Le nom de la femme, tu es sûr que tu le connais bien ?
    — Mais oui, dit Fouchard.
    Il essayait de rire, promenant les mains sur son front ruisselant, mais il n’émettait qu’un maigre bruit de mécanique rouillée.
    — Alors répète-le ! dit Chibouk en refermant la terrible tenaille de ses doigts sur son épaule et en l’obligeant à pivoter dans sa direction.
    Devant lui, ce n’était plus le port, le large, la haute mer et la liberté. La cour de l’entrepôt était encombrée par des milliers de cordes et de filins, disposés sur le sol en colonnes ou enroulés à des poutres, immobiles et lugubres. Au-delà, les bâtiments de l’arsenal, les uns plongés dans l’ombre et les autres ruisselants d’une blancheur d’argent, ouvraient d’étranges perspectives qui ressemblaient à des allées de tombes où des colonnes de poussière blanche et impalpable tournaient sur elles-mêmes.
    — Répète-le ! dit de nouveau Chibouk en accentuant sa pression.
    — Mme de Saintonges, dit Fouchard en grimaçant, Marie-Joséphine de Saintonges.

    2.
    Aux environs d’Auxerre, septembre 1702
    Delphine ouvrit les yeux, tâtonna de la main dans le vide. Quelle heure pouvait-il être ? Un courant d’air jouait dans les rideaux à façonner des monstres. Derrière, la nuit était presque blanche, crémeuse, avec des reflets bleus comme le lait reposé. Les jardins respiraient sous des bruits minuscules, des froissements de feuilles, des murmures de ruisseaux, des aboiements isolés de chiens. Elle chercha Guillaume des yeux. Il s’était déjà habillé. Il était debout devant son bureau, penché sur des papiers. Une simple bougie éclairait la table et jetait sur le bas de son visage des reflets blonds. Avec ses hautes bottes, son pourpoint, sa moustache rousse retroussée, Guillaume de Lautaret avait quelque chose d’un prince d’autrefois. Ou plus exactement, se dit-elle, il ressemble à un A majuscule, une de ces enluminures peintes à la gomme et au blanc d’oeuf qui ornent les premières pages des livres d’heures. Avec toujours, même en cet instant, en cet endroit, alors que tout dort autour de lui, cette impatience latente, cette impression qu’il est à l’écoute d’un signal, dans l’attente d’un geste,
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