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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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l’herbe, désarticulés et à demi décapités. L’abbé n’avait plus ni son chapeau ni sa perruque. Il avait été tiré de la voiture. Une de ses jambes était encore accrochée au marchepied. On lui avait tranché le cou et sa cravate blanche n’était plus qu’un chiffon rouge et poisseux.
    Guillaume appela vainement Mme de Saintonges. Le véhicule était vide. Les bagages avaient été éventrés et vidés. Des robes légères, des jupons de dentelle, des bas et des rubans dansaient sous les poussées du vent, virevoltaient en fantômes phosphorescents au milieu des cadavres.
    — Ils devaient être au moins une demi-douzaine, dit l’un des soldats.
    — Ils ne peuvent pas être loin ! Ils ne peuvent pas être loin ! répétait Guillaume à voix basse.
    Le porte-torche avait pu récupérer des chevaux et ils montèrent en selle sans se parler.
    Guillaume força sa monture à grimper au sommet de la butte. Il tournait sur lui-même. Il essayait de deviner à l’instinct quelle direction prendre. Il se battait contre l’assaut des cendres, contre les flots de la fumée. Puisqu’il y avait eu guet-apens, le lieu n’avait pas dû être choisi par hasard.
    — Voyons, disait-il. À leur place ! À leur place, vers où te serais-tu enfui ?
    Le ciel maintenant tournait au violet sombre et le fleuve d’un vert de bronze déversait son huile bouillante au milieu du brasier des forêts. La lune à s’approcher trop près s’était à son tour enflammée. Elle dérivait, rouge et fumante, hurlante et aveuglée, prête à porter plus loin l’incendie qui l’avait allumée. Quelque chose peut-être bougea sur sa droite, là-bas, derrière de grands arbres serrés qui semblaient vouloir dresser une barrière à l’extravagance du feu. Toujours est-il que ce fut dans cette direction que Guillaume se décida à fondre, aussitôt suivi par les autres.
    Ils débusquèrent le groupe sans grande difficulté. Ils étaient cinq, une troupe de gredins et de traîne-rapières. Ils s’apprêtaient à franchir le fleuve sur un long radeau actionné à la perche. Au loin, deux premières embarcations étaient déjà hors de portée. Les bandits réagirent toutefois avec rapidité et beaucoup de sang-froid. Quelques coups de feu claquèrent dans la nuit mais aucun ne fit mouche. Deux d’entre eux firent écran, le pistolet au poing et l’épée à la main ; les autres s’empressèrent d’achever l’embarquement.
    Guillaume, à la première charge, parvint à transpercer l’un des hommes qui s’écroula. Le second préféra se jeter en arrière et fuir à la nage. Les autres maniaient leurs perches avec dextérité et, en deux temps, trois mouvements, ils furent hors de portée. Guillaume, qui avait déjà de l’eau jusqu’aux hanches, dut renoncer. Mme de Saintonges n’était de toute façon pas sur cette embarcation. Il devinait sa silhouette sur l’une des barges qui, déjà, disparaissaient à un coude du fleuve.
    Les deux soldats fouillaient le corps. C’était celui d’un homme de taille moyenne, le crâne rasé, large et trapu, avec un nez énorme et bosselé d’où débordaient quantité de poils drus. Ils ne trouvèrent sur lui aucune autre arme que celles déjà utilisées et aucun objet de valeur.
    — Regagnons la route, dit Guillaume, nous pouvons peut-être encore les poursuivre.
    Mais à vrai dire, il n’y croyait guère. Le courant avait déjà emporté hors de leur vue les radeaux.
    — Il a une marque, là ! dit l’un des soldats en ouvrant largement la chemise du cadavre et en découvrant son épaule gauche.
    L’homme portait sur la peau une immense cicatrice, rouge et luisante, comme une longue brûlure qui partait de la base du cou, courait sur le rond de l’épaule et descendait vers l’omoplate.
    Des cloches sonnaient dans le lointain : l’incendie avait été signalé et sans doute les villages alentour s’organisaient-ils déjà pour tenter d’arrêter la marche du feu. De fait, de la route en surplomb, on entendait des cavalcades et des piétinements.
    Ils retournèrent sur leurs pas, tenant leurs chevaux par les mors. De grandes nappes de fumée, à travers lesquelles passait une lumière d’or et de cuivre, battaient lentement presque à l’horizontale comme des draps que l’on aurait secoués. L’air charriait par instants de grandes bouffées boueuses pleines de graisse grillée et de bois calciné. Ils avaient la tête baissée, la bouche sèche,
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