Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
Vom Netzwerk:
en franchissant le fleuve pour parvenir à se relever.
    Mme de Saintonges était morte. Étouffée sans doute.
    — Mais pourquoi ? demanda Guillaume. Pourquoi ?
    — Me croirez-vous, monsieur, maintenant ? dit M. de Chabas en portant un peu de sel à la bouche pour le goûter. Les faux sauniers que je pourchasse sont d’une autre engeance que tous ceux que l’on a connus jusque-là.
    Il fit signe à l’un des gabelous de s’approcher. L’homme avait le poil gris, sourcils et barbe abondants, et de grands cernes sous ses yeux à demi fermés. Il s’agenouilla, recueillit entre les seins de Mme de Saintonges un peu de sel qu’il flaira, qu’il effrita, qu’il porta lui aussi à la bouche en le mâchant longuement.
    — Du sel de mer à forte concentration, dit l’homme avec une voix grave, très blanc, trop blanc pour venir du Ponant. Je dirais du sel de Méditerranée, peut-être des salants d’Aigues-Mortes.

    3.
    L’église où se déroulaient les funérailles de Mme de Saintonges et de l’abbé Sudre était tournée d’un côté vers le village et de l’autre vers le château. Elle bordait de grands jardins à la française où tout était taillé au cordeau, dans un amour immodéré des longues transversales. Des tilleuls montaient des gardes molles, sur deux rangs, le long d’allées interminables où le sable prenait plaisir à amortir le pas des promeneurs. Une roseraie tentait d’imposer ses senteurs à des bosquets de buis auxquels la rosée et les averses fréquentes donnaient à longueur de temps des parfums lourds et médicamenteux. Des feuilles mortes tournaient dans le vent.
    — Vous n’y êtes pour rien, mon ami, dit Delphine en prenant le bras de Guillaume. Laissez la justice du roi mener son office.
    — Je n’ai pas su empêcher cela. Je suis bêtement tombé dans le piège qu’ils m’avaient tendu.
    Cela faisait trois nuits qu’il ne dormait pas, qu’il se battait avec des fantômes de femmes nues et des tempêtes de sel.
    — Il y a une certitude, dit-il encore en parlant à voix basse. La mort de Mme de Saintonges est une mise en scène qui répond à un code précis. Le sel, la crucifixion, cet oiseau empaillé aux ailes déployées. On veut frapper les imaginations de personnes susceptibles d’en comprendre le mystérieux sens. Ceux qu’on voulait toucher ont de grandes chances d’être aujourd’hui présents.
    — Peut-être, répondit Delphine en se serrant contre son époux. Mais peut-être que n’importe quelle pauvre femme aurait ce jour-là fait l’affaire et que le message n’était pas destiné à des personnes de sa connaissance.
    Guillaume soupira. Elle avait raison, comme à l’habitude.
    Le paysage suintait de tristesse et de froid. L’automne s’appuyait sur les arbres. Des braises luisaient dans les feuillages, et les bosquets étaient couverts d’une rouille orangée maculée de rouge carmin. Des brouillards traînaient au ras du sol, gommant les formes, réveillant des odeurs de terre, noyant le monde ordonné des quinconces sous des vapeurs de forge qui roulaient jusqu’aux premières pierres de l’église. L’édifice était plein, réservé aux familles nobles de la région, aux notables. La foule des curieux débordait jusque dans les allées et se poussait du coude pour apercevoir, immobiles, déployés sur deux rangs le long des marches, flanqués d’argousins en serre-file, les soldats envoyés par le régiment de M. de Saintonges. Les baguettes posées sur les tambours, les jambes ankylosées, impassibles au vent tiède qui soufflait par rafales molles, ils attendaient de rendre hommage aux cercueils.
    — Ah ! Guillaume, dit Delphine en se serrant un peu plus contre lui. Voilà un décor pour M. de Fontenelle et ses Entretiens sur la pluralité des mondes . Ne dirait-on pas que la terre est toujours cette planète mal éteinte, qui fume et roule dans les firmaments ?
    Il sourit tristement et lui baisa la main. Ils entrèrent dans l’église et il la mena jusqu’à sa place.
    — Je vous laisse avec madame votre mère et Mme de Beaumont. Ces cérémonies ne sont pas pour moi. À tout à l’heure.
    Il battit en retraite au fond de l’édifice et se posta dans l’ombre, adossé à un confessionnal dont la petite fenêtre percée de trous en cuivre luisait à l’endroit où l’on pose les lèvres. L’oraison commençait. La voix du prêtre glissait dans les allées, entre les colonnes de pierre. C’était une
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher