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Le secret des enfants rouges

Le secret des enfants rouges

Titel: Le secret des enfants rouges
Autoren: Claude Izner
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Saints-Pères.
    Quai Malaquais, une femme, attablée à la terrasse du café Le Temps perdu , abaissa le menu qu’elle faisait mine d’étudier et le rejoignit près de la station des fiacres.
     
    Résistant à l’envie de relire la lettre d’Iris, Joseph s’empara du carnet où il collait les articles de presse concernant les faits divers insolites ou criminels. Il ne s’aperçut pas que la carte de visite laissée par l’homme au melon voletait au fond du porte-parapluies. Les dernières pages du carnet étaient exclusivement affectées aux attentats anarchistes du mois précédent et l’arrestation le 30, au restaurant Véry 4 , de leur auteur, un certain Ravachol.
    —  Illustre dynamiteur, furtif et calamiteux 5 … chantonna Joseph, qui se mordit la langue à l’apparition de sa mère, chargée de provisions.
    Trop tard, elle avait entendu, et, en montant à l’étage, marmotta :
    — Le voilà reparti dans ses élucubrations. Ces malfrats menacent de faire sauter la capitale, ils ne s’raient pas fichus de faire sauter des patates à la poêle…
    Joseph refoula un soupir de lassitude.
    — Maman, je t’ai répété cent fois que M. Legris préférerait que tu évites de sillonner la librairie à tort et à travers. T’as qu’à passer par l’immeuble, c’est pourtant pas l’bout du monde !
    — La concierge va encore me tenir la jambe ! Cette Mme Ballu est un vrai moulin à paroles, elle me tarabuste !
    — C’est pas une raison. On travaille ici, la clientèle…
    — Quoi la clientèle ? Oh, je vois, monsieur a honte de sa mère, monsieur serait soulagé d’en être débarrassé ! Sois sans crainte, je vais bientôt tenir compagnie à ton pauvre papa, tu seras content.
    — J’ai pas dit ça. Tu veux que je t’aide ?
    — Bas les pattes ! Les caresses de chat, ça donne des puces. Ah ! J’la porte, ma croix ! gémit-elle en gravissant les marches.
     
    Depuis Noël 1891, jour où Germaine avait solennellement rendu son tablier parce que Mlle Iris rechignait à manger de la dinde, Euphrosine préparait les repas de Kenji et de sa fille, tenait leur appartement, et allait l’après-midi rue Fontaine cuisiner et dépoussiérer chez Victor et Tasha. Les premières semaines, toute à son bonheur de ne plus avoir à tirer sa charrette de quatre-saisons, elle avait trouvé ces besognes légères, d’autant que ses pérégrinations se faisaient en omnibus. En dépit de ces avantages, il lui arrivait souvent de maudire ses douleurs articulaires, les exigences d’Iris devenue végétarienne et l’ampleur de ses responsabilités domestiques, même si elle bâclait le ménage.
    De son côté Joseph, s’il profitait des absences de sa mère pour rencontrer Iris en cachette chez lui, rue Visconti, supportait difficilement d’être à longueur de matinée sous sa coupe dans la librairie Elzévir.
    Il déplia La Vie populaire et continua à mi-voix la lecture du dernier roman d’Émile Zola, La Débâcle 6 .
    —  … Ah ! Ces draps blancs, ces draps si ardemment convoités, Jean ne voyait plus qu’eux ! Il ne s’était pas déshabillé, il n’avait pas couché dans un lit depuis six semaines… Sûr que ça doit être le paradis après les boucheries des champs de batailles…
     
    Tasha éveilla gentiment Victor en l’étreignant avec tendresse, puis elle bondit du lit, courut mettre de l’eau à chauffer et attrapa un moulin à café qu’elle lui posa sur les cuisses.
    — Lève-toi et tourne la manivelle, j’ai une faim de louve ! Je te beurre une tartine ?
    — Quelle heure est-il ?
    — Onze heures. Joseph va râler.
    Pieds nus, un morceau de pain à la main, elle alla examiner en mâchant sa dernière toile en cours, une version moderne du tableau de Poussin Éliezer et Rebecca . Des femmes, attablées dans une guinguette, observaient en riant un jeune homme assez emprunté qui offrait des fleurs à l’une d’elles, une serveuse emplissait un verre qui débordait.
    À l’instar du Moïse sauvé des eaux qu’elle venait d’achever, et qui représentait une mère toilettant son bébé dans la cuve d’un lavoir, elle s’était évertuée à mêler réalisme et symbolisme. Si le Moïse la satisfaisait, elle ne cessait de retoucher la seconde composition. Afin de ne pas dépendre financièrement de Victor, elle s’était engagée à illustrer une édition des Histoires extraordinaires d’Edgar Poe, et s’affligeait de consacrer moins de temps à
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