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Le secret des enfants rouges

Le secret des enfants rouges

Titel: Le secret des enfants rouges
Autoren: Claude Izner
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qu’il devînt chronique. La nuit était son royaume. Lorsqu’il ne parvenait pas à s’endormir, il lui était loisible de rédiger ses conférences et de préparer la quête qui devait aboutir à son grand œuvre. Mais il advenait généralement qu’après trois ou quatre heures d’un mauvais sommeil il s’éveillât à l’aube comme c’était le cas ce matin-là. Il en profitait pour flâner le long des ruelles engourdies avant de rejoindre le boulevard de Sébastopol, où, accoudé au zinc d’un mastroquet, il sirotait un café en compagnie des maraîchers qui approvisionnaient les Halles. Ensuite, il hélait un fiacre et filait au Muséum.
    Calfeutrés à l’abri du froid piquant, les habitants du quartier des Enfants-Rouges somnolaient. À la chétive lueur d’un bec de gaz, le souffle du promeneur se mua en vapeur. Puis, ce fut la pénombre, les trottoirs humides de l’étroite rue Pastourelle, la trouée laiteuse de la rue du Temple qu’il fallut quitter à regret afin d’enfiler à tâtons la rue des Gravilliers. Ce jeu de cache-cache entre ombre et lumière n’était pas sans lui évoquer d’anciennes équipées au cœur de la forêt équatoriale, où le soleil et les étoiles sont fréquemment masqués par l’épais manteau végétal. Le fleuve de la rue de Turbigo roulait paisiblement, et le portail de l’église Saint-Nicolas-des-Champs figurait un rocher qui en barrait le flux. Sur la place s’affairaient des paysans en blouse bleue et bonnet de coton accompagnés de leurs femmes coiffées d’une marmotte, de retour des pavillons Baltard où ils avaient déchargé leurs légumes. Une fois les chevaux dételés, ils allaient remiser leurs carrioles rue Greneta. Il y régnait un joyeux désordre chichement éclairé par des lanternes.
    L’homme longeait le vaste hangar d’une fabrique de jouets obstruée de voitures, c’est alors qu’il entendit crier son nom. Il s’arrêta, s’efforçant de repérer la provenance de l’appel, fit un pas en direction des charrettes. La voix résonna à droite, au-delà de la masse grisâtre d’un fardier. Un claquement sec retentit. L’homme ébaucha un geste vers sa poitrine, une fugitive expression d’effarement passa sur son visage, ses jambes se dérobèrent, il bascula sur des bottes de fourrage.
    Quand on le traîna derrière une pile de cageots et qu’une main palpa sa redingote à la recherche de son portefeuille, il était déjà mort.
     
    Paris, même jour, 7 heures du matin
     
    Une lumière pâle s’infiltrait entre les rideaux, au loin bruissaient les rumeurs de la ville. Les doigts qui tenaient le porte-plume couraient sur le papier :
    … Les sept tonnerres ont fait entendre leurs voix. Je suis l’émissaire, j’ai supprimé les deux témoins. Maintenant je dois détruire cette flétrissure avant que les faux prophètes ne s’en emparent et ne séduisent ceux qui ont pris la marque de la bête et adoré son image.
    L’émissaire posa sa plume, ferma le cahier, et alla le serrer dans le double fond de la penderie. Sur le bureau, la carafe d’eau lui fit l’effet d’un prisme où l’éclat rose de la lampe multipliait en miniature son propre reflet.
     

 
     
     
     
     
CHAPITRE II
    Vendredi 8 avril, 9 heures du matin
    Lorsque Tasha dormait, l’oreiller serré sur sa joue, Victor n’éprouvait plus la moindre inquiétude. Et même si ses rêves l’emportaient hors d’atteinte, elle demeurait sienne. Il avait beau se reprocher cette possessivité, s’évertuer à la museler, elle revenait insidieusement à la charge. Pendant plusieurs mois il l’avait crue assoupie, mais depuis peu elle se ranimait. Souvent préoccupée sans raison apparente, Tasha semblait lui dissimuler quelque chose. Il l’avait d’ailleurs pincée, un soir, en train de lire une lettre qu’elle s’était empressée d’escamoter à son approche. Depuis lors, les doutes le rongeaient de plus belle.
    Pelotonné contre elle, il avait épousé le galbe de sa nudité sans parvenir à se détendre. Son esprit était pareil à un grenier où s’entassait un bric-à-brac d’expériences, d’angoisses, d’espérances Impossible de fermer l’œil, une pensée en entraînait une autre… La tentation de mettre la main sur cette lettre l’obsédait, il fallait qu’il sache. N’y tenant plus, il entreprit d’explorer méthodiquement ses cartons à dessin, le contenu de ses tiroirs et de ses poches. Bredouille, il finit par renoncer, se
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