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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512
Autoren: Thierry Bourcy
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bureau de style occupait le centre de la pièce. Au fond, une porte-fenêtre ouvrait sur le petit jardin. La Guimauve s’acharnait sur la poignée de cette double croisée sans parvenir à l’ouvrir. Découragé, il se retourna vers Célestin.
    — Le problème de ces grandes baraques, c’est l’entretien.
    Le policier s’avança en souriant vers le cambrioleur. Un instant, Chapoutel donna l’impression qu’il allait se laisser faire. Mais quand Célestin fut arrivé tout près de lui, il se précipita tête baissée et le renversa. Célestin s’agrippa aux épaules de La Guimauve et l’entraîna dans sa chute. Un court instant, les deux hommes se battirent, roulant sur l’épais tapis persan, se heurtant aux pieds du bureau, renversant une très jolie lampe en pâte de verre qui vint se fracasser près de leurs visages, et puis il y eut un bref hurlement et Chapoutel resta par terre, prostré de douleur, recroquevillé autour de son bras inerte. Célestin se releva en soufflant doucement, pour calmer sa respiration. Wang Anqi, le vieux Chinois qui donnait aux volontaires de la police des cours de jiu-jitsu, aurait été content de lui.
    Après, il fallut calmer la gardienne affolée qui avait trouvé au bas des marches, en rentrant des courses, le sac rempli des bibelots de sa maîtresse, puis emmener La Guimauve, menotté et résigné, au Dépôt. Dans la circulation encore très calme du boulevard Raspail, Célestin héla un fiacre.
    — Vive la France ! lança le cocher en s’arrêtant devant ce drôle de couple que formaient le jeune policier et son prisonnier.
    Célestin le regarda en fronçant les sourcils.
    — Qu’est-ce qu’elle a de spécial, la France, aujourd’hui ?
    — Vous n’avez pas lu les journaux du matin, monsieur ? La mobilisation générale a été décrétée.
    Disant cela, le cocher attrapa un journal calé derrière le dossier de son siège et le lança à Célestin. Celui-ci poussa La Guimauve à l’intérieur du fiacre et grimpa près de lui.
    — Au Dépôt !
    Tout en surveillant du coin de l’œil le cambrioleur qui s’était affalé sur son siège, Célestin parcourut la une du « Petit Parisien » : l’Allemagne a lancé un ultimatum à la France et à la Russie, les sommant de ne pas mobiliser.
    — Les cons ! murmura Célestin.
    Par la fenêtre, le policier aperçut des colleurs d’affiches apposant sur les murs d’un bâtiment officiel le fameux décret de mobilisation générale qui, parfois, était écrit à la main. Le gouvernement avait choisi la guerre. Avait-il seulement eu le choix ? Célestin ne gardait pas un très bon souvenir de ses deux ans de service militaire à Brive, deux années d’abrutissement sous les ordres de quelques ganaches arrogantes et stupides, d’exercices inutiles, de promiscuité pesante. Il s’était fait peu d’amis et ne se rappelait que de longs mois de grisaille heureusement éclairés, certains jours de permission, par le sourire d’une jeune institutrice et par quelques belles promenades dans la campagne. Cette fois, il ne s’agissait plus d’exercice.
    Célestin s’aperçut que son prisonnier lisait lui aussi la une du journal.
    — Alors ça y est, c’est la guerre ?
    — C’est la guerre, Chapoutel.
    Les deux hommes se regardèrent, aussi perplexes l’un que l’autre. Célestin, comme tous les jeunes hommes du pays, allait recevoir dans la journée son ordre d’affectation. Le fiacre stoppa brusquement. Célestin passa la tête par la fenêtre. Devant eux, sans une parole, dans le seul bruit de leurs godillots frappant le sol, une troupe de soldats défilaient. Leurs visages, pour la plupart moustachus, affichaient une résolution, une détermination, un courage qui à la fois rassuraient et effrayaient. Ils semblaient aller tout autant au sacrifice qu’à la victoire. Ils portaient l’uniforme des fantassins, capote bleu marine à boutons de cuivre, pantalon garance, casquette à visière, sac à dos et fusil. Une femme, toute vêtue de noir, allait à leur côté, tête nue ; elle aussi portait un fusil auquel elle avait fixé un drapeau français qui flottait dans son dos. Elle aussi avait cet air farouche et dans le même temps vaguement soulagé de ceux qui doivent faire face à une catastrophe longtemps redoutée. Célestin et son prisonnier furent saisis de la même émotion, de la même tristesse, de la même peur devant l’inconnu : le monde entier chavirait. La Guimauve se
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