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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512
Autoren: Thierry Bourcy
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route et reprit la direction du Mans. Son genou droit lui faisait mal. Au carrefour d’Arnage, il croisa deux gendarmes à vélo qui faisaient une ronde. Il leur signala simplement avoir entendu un coup de feu à quelques kilomètres de là. Il ne désirait pas s’attarder : à quoi bon leur raconter le drame des deux frères qu’une femme avait sans le vouloir dressés l’un contre l’autre ? Désormais, ce secret, tout comme le nom de la famille, appartenait à Claire de Mérange. Célestin dîna dans une petite auberge à l’entrée de la ville, puis s’installa pour dormir sur un banc, dans un parc. Réveillé par la fraîcheur de l’aube, il arriva juste à temps à la gare pour prendre le premier train pour la capitale. La matinée était bien avancée lorsqu’il débarqua à Montparnasse. Là, la guerre avait laissé peu de traces, c’était la foule des voyageurs, simplement pouvait-on noter que les hommes jeunes étaient moins nombreux qu’autrefois. Lorsque Célestin croisait d’autres soldats en permission, leurs regards se fuyaient, ils baissaient la tête, comme s’ils partageaient un secret honteux. Comme il était loin, l’enthousiasme de l’année précédente, lorsqu’ils partaient en désordre dans la chaleur de l’été pour reconquérir en quelques semaines deux provinces perdues ! Trop d’hommes étaient déjà morts et le carnage n’était pas prêt de s’arrêter. On parlait d’une nouvelle offensive à l’automne. Le soleil tapait fort lorsque Célestin passa le petit pont de la rue Corvisart. La vieille maison de bois n’avait pas bougé, simplement des langes fraîchement lavés séchaient aux fenêtres. Lorsqu’il s’approcha, un bébé se mit à brailler. Il grimpa l’escalier extérieur et frappa à la porte. La voix d’Éliane lui répondit.
    — Entrez !
    Il poussa la porte, elle était là, radieuse, paisible, assise en travers d’un petit lit qu’on avait rajouté dans la grande pièce, balançant son enfant allongé dans un vieux berceau de bois à la peinture toute écaillée. Son visage s’éclaira en reconnaissant Célestin. Elle se leva d’un coup et, tout simplement, l’embrassa sur les joues.
    — C’est une fille ou un garçon ?
    — Sarah. Elle est née le 22 juin.
    Avec toute la fierté d’une jeune mère, elle souleva le bébé du berceau. La petite, surprise, cessa de pleurer. Éliane la fourra dans les bras de Célestin. En se retrouvant avec cette petite chose fragile qui l’observait avec de grands yeux bleu sombre, le jeune homme se sentit tout retourné. Une vague d’émotion l’envahit et, sans qu’il pût rien y faire, il se mit à pleurer. Ce furent d’abord deux larmes silencieuses qui lui coulèrent au coin des yeux et puis, son chagrin déferlant, de grands sanglots le secouèrent. Il ne savait pas exactement ce qu’il pleurait, les femmes seules, les hommes mourant à la guerre, sa propre jeunesse perdue ou la disparition d’un monde. Émue autant que lui, Éliane lui retira doucement l’enfant des bras et le remit dans son berceau. Célestin se laissa tomber sur une chaise, la jeune femme lui prépara du café. Après quelques hésitations, elle lui apprit que Jules était mort. Gabrielle avait reçu au début du printemps la lettre de l’état-major. Les obus l’avaient épargné jusqu’au jour où il s’était fait écraser par un camion qu’il tentait, avec d’autres territoriaux, de désembourber. Le brusque retour de la guerre dans cette belle journée de juin écœura Célestin. Il ne voulait pas penser à la mort de son beau-frère qu’il se figurait trop bien, il ne voulait plus penser à l’horreur du front qu’ici, on paraissait ignorer. Il caressa la joue du bébé, posa ses lèvres sur le front d’Éliane et sortit. Il marcha au hasard, passant des quartiers plus calmes de la rive gauche à l’effervescence de la rive droite. Les cafés autour de l’Opéra étaient bondés, les femmes élégantes, les hommes affairés. Quelques officiers anglais paradaient, on voyait aussi des uniformes fantaisistes, derniers avatars d’une mode insouciante. Au soir, Célestin redescendit vers le treizième arrondissement. Dans les fabriques, c’était l’heure de la débauche, il attendit sa sœur à la sortie de la Brasserie de la Reine Blanche. Il n’y avait plus que des femmes, Célestin reconnaissait même des vieilles blanchisseuses, des mères de famille qui avaient repris du service.
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