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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512
Autoren: Thierry Bourcy
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Gabrielle et lui s’étreignirent longuement, mais le sourire ne venait pas plus que les mots. Ils marchèrent côte à côte jusqu’à la maison sans parler. Ils se connaissaient trop pour ne pas deviner dans leurs rides nouvelles et leurs premiers cheveux blancs toutes les souffrances qu’ils préféraient taire. C’est tout juste si, tandis qu’ils grimpaient les premières marches de l’escalier et qu’ils entendaient Éliane fredonner une comptine à son enfant, Gabrielle, retenant son frère par la manche, se permit de lui dire :
    – Je l’aime beaucoup, tu sais.
    Au soir, Célestin sortit seul, sans qu’aucune des deux femmes ne lui posât de question. Il refit le chemin auquel il avait tant rêvé dans la boue des tranchées. Sur le terrain vague de la porte de Choisy, les roulottes avaient disparu. Seules des lumières fantastiques éclairaient les verrières des usines Panhard. Sans autre repère, le jeune homme s’approcha des immenses ateliers d’où s’échappait un bruit infernal. Personne ne surveillait l’entrée de la fabrique. Il pénétra dans un immense espace où des machines-outils pressaient, découpaient, alésaient, ajustaient des pièces de moteurs. Des étincelles jaillissaient partout, dans un bruit de ferraille qui faisait mal aux oreilles. Là aussi, les ouvriers, dont les visages étaient dissimulés par des masques protecteurs, mais dont on voyait les longues chevelures retenues en queues de cheval, étaient en grande majorité des femmes. Leurs gestes techniques, par manque d’habitude, conservaient un peu de retenue. L’une d’elles se tourna vers lui et releva son masque. Il reconnut Joséphine. Ses yeux brillaient. Elle lui sourit et lui fit signe de l’accompagner dehors. Là, appuyés contre un mur, dans le vacarme assourdi et les éclats intermittents des ateliers, ils fumèrent une cigarette.
    — Je savais que vous reviendriez.
    — Alors, vous en saviez plus que moi.
    — Il y a des soldats qui ne peuvent pas mourir à la guerre.
    — Sans doute que j’y ai mis de la mauvaise volonté. Et puis j’avais autre chose à faire.
    Joséphine écrasa sa cigarette.
    — Le contremaître est une vraie teigne. Vaut mieux que je reprenne le boulot.
    — Les caravanes ne sont plus là ?
    — Trop d’histoires, trop de complications. Maintenant, j’habite un gourbi à la porte d’Ivry. Il y a beaucoup de femmes comme moi, qui essaient de se débrouiller pour pas finir au tapin, heureusement que les patrons embauchent. Mon lit n’est pas grand et ça manque de romantisme, mais vous avez dû en voir d’autres.
    L’aplomb de la jeune femme sidérait toujours Célestin. Elle finissait à trois heures, il l’attendit. Elle lui prit le bras jusqu’à sa chambre. Elle sentait la sueur, la graisse et le métal, mais quand elle défit ses cheveux et laissa tomber sa robe, elle redevint éblouissante. De nouveau, ils firent l’amour avec fièvre, dans un emportement presque violent. Célestin s’endormit sur elle. Au petit matin, il se réveilla en hurlant : un Allemand sans visage lui enfonçait une baïonnette dans le ventre. Joséphine le rassura, elle lui caressait le visage et lui disait des mots doux, que tout allait bien, que la guerre était loin, qu’il ne fallait pas y penser. Alors il sut que cette guerre ne leur appartenait qu’à eux, les combattants du front, et que jamais ils ne la partageraient avec personne d’autre que ceux d’en face. Il serra la jeune femme contre lui et se rendormit, l’amertume au cœur.

REMERCIEMENTS
    Je tiens à remercier Françoise Juhel, Marie-France Briselance et Jean David pour ses vigoureux encouragements, Bernard, Sylvie et Mathurin Daniel pour leur enthousiasme, Yunbo pour sa patience, Jean-Louis Lorenzi, Jean-Luc Michaux, Luc-Antoine Diquéro et toute l’équipe de « La tranchée des espoirs » pour m’avoir accompagné sur le champ de bataille.
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