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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512
Autoren: Thierry Bourcy
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obligé de courir pour ne pas la perdre. Il la prit par le bras.
    — Dites-moi quand même votre prénom ?
    — Pour quoi faire ? Ça va vous encombrer la tête, monsieur qui n’est pas seul.
    — Pour l’emporter avec moi à la guerre. Je pars demain.
    — Et qu’est-ce que mon prénom irait faire à la guerre ?
    Décontenancé, Célestin ne trouvait plus rien à répondre. De nouveau, elle sourit.
    — Suivez-moi et tout à l’heure, vous saurez mon prénom.
    Ils descendirent l’avenue vers les boulevards extérieurs, obliquèrent par l’avenue de Choisy et approchèrent de ce que les parisiens appelaient « la zone », cette étendue de terrains vagues au-delà des usines Panhard et Levassor envahie par des roulottes de tziganes ou de marginaux.
    — Je n’ai pas beaucoup d’argent sur moi.
    — Vous trouvez que je ressemble à une pute ?
    — Non. Vous ne ressemblez à aucune femme que je connaisse.
    — Tant mieux. Vous me plaisez, c’est pas un crime ?
    Cette fois, elle lui prit le bras. Ils traversèrent le boulevard Masséna et débouchèrent sur un vaste terrain, une friche encombrée des rebuts des usines qu’occupaient ça et là des roulottes et les modestes installations de camps de fortune. Près d’un feu de camp, un type jouait sur une guitare une mélopée traînante qu’il accompagnait à mi-voix. Le couple passa près de lui, il ne leur accorda pas même un regard. La jeune femme s’arrêta devant l’un des chariots qui rappelaient ceux des cirques forains.
    — C’est ici chez moi. Et je m’appelle Joséphine.
    Elle le fit entrer dans un petit salon encombré de coussins, de bibelots dépareillés, de tout un fatras de seconde main atterri là par dieu sait quels hasards. La roulotte était encore chaude de la journée d’été. Joséphine ouvrit un petit vasistas et se retourna vers Célestin. Elle ne lui laissa pas le temps de poser des questions. En quelques gestes rapides, elle avait défait son châle, libéré sa chevelure et laissé tomber sa robe. Elle se glissa contre lui, douce, chaude, il enfouit son visage dans ses longs cheveux qui sentaient la ville et le vent. Elle défit sa ceinture, déboutonna sa chemise, il se laissa déshabiller. Elle le bouscula sur une étroite couchette, il la fit basculer sous lui et l’immobilisa pour mieux la voir. Elle entoura de ses jambes minces la taille de Célestin, s’ouvrit à lui. Joséphine était très belle et aimait l’amour. Célestin se perdit en elle jusqu’au point du jour. Il l’adora sans la connaître avec la ferveur d’un jeune homme et le désespoir d’un soldat qui part au combat. Quand un premier rai de lumière passa par les fentes des volets, elle lui raconta son histoire en forme de mélodrame, sa mère tuberculeuse morte quand elle avait dix ans, son père emboutisseur chez Panhard, qui continuait à faire ses dix heures par jour malgré deux doigts coupés, juste assez d’argent pour se payer la roulotte et survivre. Joséphine s’occupait de son père et se faisait embaucher à la journée pour divers petits boulots. Célestin eut l’impression qu’elle lui cachait quelque chose, mais il se serait senti ridicule et grossier en l’interrogeant. La jeune femme était le cadeau d’adieu que lui faisait Paris, c’était à prendre ou à laisser : il l’avait prise et ne savait pas seulement s’il la reverrait un jour. Il la regarda tout en se rhabillant. Elle était assise, nue, dans la pénombre, ses longs cheveux dissimulant en partie ses deux petits seins ronds.
    — Donne-moi ta main gauche. Ne t’inquiète pas, je ne vais pas te passer la bague au doigt : un soldat, c’est pas un bon parti.
    Une nouvelle fois, le jeune homme eut le sentiment qu’elle se jouait de lui, mais il fit taire ses doutes en se rappelant la nuit et l’abandon avec lequel Joséphine s’était donnée à lui. Elle lui prit la main et l’ouvrit, paume au-dessus. Elle passa son doigt sur les lignes, elle semblait très concentrée.
    — Alors, je vais m’en sortir ?
    — Oui, tu vivras longtemps, Célestin. Tu vivras une vie d’émotions et de surprises. Tu es jeune, mais tu n’as déjà plus beaucoup d’illusions.
    — Ce n’est pas dans ma main que tu vois ça.
    — Je vois aussi une femme, très belle, très douce. Elle porte du malheur.
    — Elle ne vit pas dans une roulotte ?
    — Non, non, ce n’est pas moi : elle, c’est une dame.
    — Toi aussi, tu es une dame,
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