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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512
Autoren: Thierry Bourcy
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peut-être même qu’elle avait un petit béguin pour lui. Elle était généralement de mauvaise humeur mais là, dans ces circonstances exceptionnelles, elle ne savait pas trop que penser : fallait-il s’indigner, se réjouir, s’attrister, compatir, s’effrayer ? En tout cas, elle n’avait pas le cœur à l’ouvrage et ne faisait même pas semblant de balayer l’entrée quand Célestin arriva. Elle lui remit d’un air entendu son avis de mobilisation.
    — Mon petit-neveu Jeanne va bien être obligé de passer par Paris pour aller à la guerre. Il est de Loudéac. J’espère au moins qu’il viendra me dire bonjour, à quelque chose malheur est bon !
    — Bien sûr, qu’il viendra, madame Tallec, il doit être content d’avoir une tante aussi gentille.
    Cueillie par le compliment, la concierge leva les yeux au ciel. En quelques enjambées, Célestin fut hors de portée. Tout en grimpant les marches, il ouvrit l’enveloppe officielle. Il était affecté au 134 e régiment d’infanterie et devait se rendre dès le lendemain à Orléans. Il ne lui restait plus qu’une soirée à Paris. Il rebroussa chemin et redescendit quatre à quatre.
    — Vous avez oublié quelque chose ? s’étonna la concierge en le voyant disparaître au bout du couloir.
    — Oui, madame Tallec : que le temps passe vite !
    Célestin prit un tramway devant l’Hôtel de Ville. Autour de lui, on ne parlait que de la guerre, et d’une victoire rapide : en quelques semaines, on serait à Berlin. En traversant la Seine, le jeune homme laissa son regard se perdre sur les reflets de soleil couchant, là où le fleuve se perdait dans une brume de chaleur. Le soir, déjà, se teintait de rouge, et c’est l’idée du sang qui, naturellement, vint à l’esprit de Célestin. Détournant les yeux du fleuve éblouissant, il rencontra le regard d’une toute jeune femme aux épais cheveux d’un roux foncé que la lumière colorait d’orangé. Vêtue simplement d’une robe longue serrée à la taille et d’un fichu de dentelle en partie déchiré, les bras croisés, elle le dévisageait en souriant. Il émanait d’elle un mélange de sensualité, de sauvagerie et de douceur qui remua profondément le jeune homme. Il sourit à son tour. Le tramway remontait la rue Monge avant de redescendre vers les Gobelins. Travaillé par le désir qui le poussait vers cette femme inconnue, Célestin fut pris d’une bouffée de nostalgie. Avait-il raison de quitter la ville pour rejoindre une guerre qui, même si elle durait peu de temps, provoquerait son lot de malheur, ferait des morts et des éclopés ? Le jeune flic connaissait la barbarie des hommes, il en avait trop vu, de ces pauvres types assommés, égorgés, éventrés à la suite de mauvaises rixes, des querelles d’alcool, de filles et de misère qui laissaient chaque semaine à la morgue une litanie de cadavres effarés. Les uniformes et la discipline n’y changeraient pas grand-chose : il allait bien falloir s’étriper.
    — Banquier ! hurla le machiniste.
    La jeune inconnue sauta du véhicule et Célestin eut l’impression qu’elle lui faisait un petit geste de la main, mais quand il la suivit des yeux tandis qu’elle s’éloignait par la rue Croulebarbe, elle ne se retourna pas. Le jeune homme descendit à l’arrêt suivant, Place d’Italie, et marcha jusqu’à la rue Corvisart. Sur le petit pont qui enjambait la Bièvre, il prit à droite un mauvais escalier qui menait sur la berge. Le cours d’eau charriait toutes sortes d’immondices et les lessives des riverains y laissaient des traînées blanchâtres. Sur la rive d’en face se dressait une grande bâtisse en bois montée sur des sortes de pilotis qui formaient un préau. De ce préau partait un escalier en bois lui aussi menant à l’étage. Célestin mit ses mains en porte-voix.
    — Gabrielle !
    Une jeune femme aux cheveux coiffés en chignon, portant un chemisier à ras du cou et un foulard noué négligemment sur les épaules passa son visage à la fenêtre.
    — Célestin !
    Elle souriait, mais presque immédiatement son visage devint grave.
    — Entre donc. Justement, Jules vient d’arriver.
    Jules Massonier, le mari de Gabrielle, était contremaître à la Brasserie de bière de la Reine Blanche, sur le boulevard Blanqui. C’est là qu’ils s’étaient rencontrés, elle préposée à l’embouteillage et lui qui dirigeait les expéditions. Ils auraient pu prétendre à un autre
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