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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512
Autoren: Thierry Bourcy
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logement que cette grande baraque presque insalubre, mais c’était là que
    Jules avait passé son enfance, près de sa mère blanchisseuse, et il n’avait pas pu s’éloigner du petit cours d’eau qui traversait l’arrondissement. Célestin, prenant appui sur un bac de lavage, sauta sur la berge opposée et grimpa l’escalier en quelques enjambées. Gabrielle lui ouvrit, ils s’embrassèrent affectueusement.
    — Comment tu vas, frangine ?
    — Comme une femme qui voit ses hommes partir à la guerre.
    — Eh bien, tu les verras revenir !
    Célestin se retourna vers la voix qui venait d’annoncer cette nouvelle optimiste. Un colosse moustachu et débraillé s’avançait dans la salle, la chemise ouverte dont les pans tombaient sur son pantalon noir.
    — Salut, beau-frère !
    Jules donna l’accolade à Célestin. Ils s’installèrent à table, Gabrielle vint leur apporter deux bières puis se mit aux fourneaux. Les deux hommes commencèrent à discuter. Ils s’étaient résignés à une guerre à laquelle l’opinion publique était préparée depuis des mois, mais un fond de révolte animait encore Jules. Il faisait de grands gestes des bras en parlant des Balkans, de l’archiduc François-Ferdinand, des gouvernements européens, des armées, des journalistes… Célestin le laissait parler, à la fois par déformation professionnelle et parce qu’il n’arrivait pas à se sortir de la tête la jolie fille du tramway. Gabrielle déposa sur la table un gratin de pommes de terre et deux tranches de jambon qu’ils se partagèrent. Tout en mettant les assiettes et les couverts, elle regardait son frère avec tendresse.
    — Tu n’aurais pas pu rester à Paris, toi qui es dans la police ?
    — Ça dépend de quel point de vue on se place. Officiellement, oui. Mais je n’aurais pas supporté de savoir les copains au front… Regarde Jules, il va bien se battre, lui.
    — Oui, mais moi, je suis dans l’artillerie, on sera pas en première ligne.
    — Parce que tu crois que les obus sont réservés aux pioupious ?
    — C’est ça, casse-moi le moral !
    — Assez causé de votre guerre, dit Gabrielle en s’asseyant. Si tu nous racontais plutôt ta dernière enquête ?
    — Hé, notre guerre, c’est aussi la tienne, ma femme. T’es bien française, non ?
    — Je ne suis qu’une ouvrière : l’Alsace-Lorraine, j’y ai jamais mis les pieds.
    — Parle pas comme ça, frangine, il y en a qui pourraient mal le prendre.
    Pour changer de conversation, Célestin raconta l’arrestation de La Guimauve et comment il l’avait relâché. Jules éclata d’un grand rire.
    — Pauvre gars… Tu as bien fait de le laisser filer. Et puis voler les riches, c’est pas voler.
    — Dis donc, Jules, si ton patron t’entendait parler comme ça ?
    — Mon patron, il a rien à me reprocher : je fais bien mon boulot, j’en fais même plus qu’il ne me demande.
    Ils éclusèrent une autre bouteille de bière et la fin de soirée, tandis que Gabrielle allumait la lampe à pétrole, se nuança de tristesse. Au moment de se dire au revoir, le frère et la sœur ne cachaient plus leur inquiétude. Gabrielle fit promettre à Célestin de venir dîner à sa prochaine permission, mais le cœur n’y était pas. Jules donna rendez-vous à son beau-frère quelque part sur le front.
    — Je pars en formation à Tarbes, au moins j’aurai vu du pays !
    Célestin serra sa sœur dans ses bras, elle n’avait plus le courage de parler. Il l’embrassa dans les cheveux, fit un dernier salut à Jules et redescendit le petit escalier de bois. Une chatte en chaleur miaulait sa peine, de l’autre côté du pont un matou lui répondit. Célestin remonta sur la rue Corvisart, il resta un moment accoudé au parapet. Un regard indiscret lui fit voir, par la fenêtre de la grande bâtisse, les ombres de Jules et de Gabrielle qui s’enlaçaient. Il détourna les yeux et rattrapa le Boulevard Blanqui, il trouverait peut-être encore un tram ou un autobus à la Place d’Italie. Il allait s’engager sur la place quand il reconnut la passagère du tramway. Elle sortait d’un estaminet, elle lui sourit.
    — C’est moi que vous cherchez ?
    — Je ne cherche personne.
    — Pourtant vous avez l’air seul.
    — Et alors ?
    — Alors, rien.
    Elle haussa les épaules, tourna le dos à Célestin et se pressa jusqu’à l’avenue d’Italie. Le jeune homme la suivit, elle marchait si vite qu’il était presque
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