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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512
Autoren: Thierry Bourcy
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Il allait se jeter sur
    Célestin quand un jeune officier se présenta à l’entrée du compartiment.
    — Je vous dérange, messieurs ?
    L’agresseur s’immobilisa.
    — Qu’est-ce que c’est que ce couteau ? Une rixe ? Vous voulez déjà vous battre ? Gardez plutôt vos forces pour cogner sur les Boches.
    Il posa tranquillement une petite valise en cuir jaune dans le filet à bagages et s’assit près de Célestin. La brute, en face, rangea son arme en grommelant. Dans le couloir, les appelés continuaient à se marcher dessus, certains passaient comiquement la tête dans le compartiment et, devant l’uniforme du lieutenant et la trogne hirsute des deux sauvages, battaient aussitôt en retraite. L’officier se tourna vers Célestin et lui fit un signe de tête.
    — Lieutenant Paul de Mérange.
    — Célestin Louise. Bienvenue dans ce compartiment.
    Les deux hommes commencèrent à échanger quelques banalités sous l’œil hostile des deux autres passagers. Il y eut un long coup de sifflet et le train s’ébranla. Sur le quai, des femmes agitaient des mouchoirs, des hommes faisaient un signe de la main, des soldats immobiles attendant d’autres trains regardaient leurs frères d’armes partir pour un même destin. Paul de Mérange et Célestin étaient tous deux appelés au 134 e d’infanterie. Paul venait de la Sarthe où il avait dû laisser à son frère Jean, qu’une jambe infirme exemptait de l’armée, la petite usine de briques qu’ils tenaient de leur père. Mais surtout, il avait dû laisser là-bas sa jeune femme Claire qu’il venait tout juste d’épouser.
    — Vous avez quelqu’un ? demanda Mérange à Célestin.
    — J’ai un joli souvenir de la nuit dernière.
    Célestin se raconta en quelques mots. Quand il annonça qu’il était de la police, un des colosses pas encore endormi entrouvrit un œil. Le lieutenant demanda à Célestin s’il ne regrettait pas son choix, lui qui aurait pu rester à Paris.
    — Si je le regrettais déjà, mon lieutenant, qu’est-ce que ce serait en arrivant au front ? Laissez-moi au moins le temps d’avoir peur.
    Mérange, amusé, sortit un étui à cigarettes et en proposa une à Célestin qui refusa : le tabac blond le rendait malade.
    — Je peux aller fumer dans le couloir.
    — Non, non, je vous en prie, l’odeur n’est pas désagréable.
    La campagne défilait sous leurs yeux, laissant voir au passage un hameau, une ferme isolée, quelques vieux paysans en retard de moisson qui interrompaient un instant leur besogne pour voir passer le train. Une jeune femme au corsage échancré, rouge de chaleur et de transpiration, leur fit un grand signe. Nulle part, on ne voyait plus d’homme jeune, comme si le monde entier avait été laissé aux femmes, aux enfants et aux vieillards.
    À la gare d’Orléans, ce fut de nouveau le désordre, les cris, les bousculades. À voir tant de soldats aux uniformes incomplets, tant d’appelés hagards qui vérifiaient à chaque pas leur feuille de route, tant d’officiers qui s’efforçaient de prendre l’air affairé et de savoir où ils allaient, on eût dit que c’était toute l’armée française qui avait été convoquée là. La ville était envahie, les rues encombrées de pantalons rouges et de chariots de ravitaillement, les casernes surpeuplées. Célestin finit par apprendre que le 134 e d’infanterie était caserné dans une école de filles, réquisitionnée pour l’occasion. Une trentaine d’hommes étaient logés dans chaque salle de classe, avec en guise de literie une botte de paille pour deux. Les soldats, dont certains avaient beaucoup marché pour arriver à la gare, ne s’étaient pas lavés depuis deux ou trois jours, et ça puait la sueur, le cuir et le vieux linge. Pendant qu’un petit groupe assis en rond commençait à faire bombance avec quelques provisions apportées de leurs fermes, Célestin décida de s’installer sur l’estrade en bois, sous le grand tableau noir. Il étala sa couverture réglementaire, ôta sa veste et la mit en boule pour se faire un oreiller puis s’allongea sur le dos, épuisé. Les cris des autres ne le dérangeaient pas, et d’ailleurs ils se fatiguèrent vite. Avant que la nuit ne fût tombée, on entendit les premiers ronflements. Il manquait des rideaux aux fenêtres et la lumière du soir s’en vint rougir les murs. Célestin se mit sur le côté, dos à la salle. Il aperçut alors un petit morceau de papier coincé
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