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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512
Autoren: Thierry Bourcy
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derrière l’estrade, c’était le bout d’une copie sur laquelle une nommée Simone Mercier avait rédigé son devoir de « mémoire », il s’agissait d’un poème de Baudelaire :
    « Je n’ai pas oublié, voisine de la ville
    Notre blanche maison, petite, mais tranquille ;
    Sa Pomone de plâtre et sa vieille Vénus
    Dans un bosquet chétif cachant leurs membres nus,
    Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe,
    Qui, derrière la vitre où se brisait sa gerbe,
    Semblait, grand œil ouvert dans le ciel curieux,
    Contempler nos dîners longs et silencieux,
    Répandant largement ses beaux reflets de cierge
    Sur la nappe frugale et les rideaux de serge. »
    L’élève avait eu dix sur dix. Célestin replia le morceau de papier et le mit dans sa poche, comme un porte-bonheur, comme un morceau de paix. Dans la salle, une voix déjà endormie cria : « Les Boches, on les aura ! »
    Célestin avait l’habitude de la discipline, mais quand il se vit en uniforme dont la toile rêche lui semblait trop lourde et la couleur rouge du pantalon trop voyante, quand il dut obéir toute la journée à des ordres brefs aboyés par des sous-officiers qui transpiraient la bêtise, quand il fut obligé, pendant son tour de garde, d’interdire à ses camarades de sortir en ville boire un coup, il comprit que la guerre lui serait non seulement dangereuse, mais à chaque instant pénible. Enfin, au bout de quelques semaines d’exercices épuisants, ils eurent droit à un soir de permission. Les soldats avaient pris leurs habitudes dans un bistroquet situé au bout des quais de la Loire, et appelé « La Marine ». Son patron, Fernand, était un ancien batelier usé par le harnais le long des chemins de halage, perclus de rhumatismes et toujours de mauvaise humeur. La clientèle assidue de la troupe ne lui avait pas rendu le sourire : si ses bénéfices augmentaient, il y avait souvent de la casse, des bagarres et la visite de la rousse. À tout prendre, il préférait encore la morosité d’avant-guerre, quand le bar servait de rendez-vous à quelques habitués, à de rares pêcheurs et à d’anciens collègues, des gens de l’eau. Fernand, lui, était résolument passé du côté du vin. « La Marine » avait le double avantage d’être suffisamment loin des casernements et d’itinéraire facile pour les ivrognes en mal d’équilibre. Tout naturellement, c’est là que Célestin se rendit. La nuit tombait déjà quand il quitta le lycée. Le ciel, d’un bleu profond, se décorait d’étoiles minuscules et la lune à son déclin se mirait dans le fleuve. Le jeune homme prit le long des quais, admirant les reflets de la ville et goûtant la tranquillité de ces bords de Loire, si loin de la guerre. Les échos d’une course précipitée le firent se retourner, il y eut les cris d’une femme bientôt suivis de sanglots et, au coin d’une grande bâtisse, une silhouette qui s’évanouissait.
    — Mon sac ! cria la femme.
    Elle était toute jeune, toute mince et morte de frayeur. Déjà Célestin, qui avait reconnu l’agresseur, s’était mis à courir. Le voleur, croyant semer son poursuivant, s’était engouffré sous une porte cochère, mais Célestin l’avait vu. Il ralentit, se mit à marcher, alluma une cigarette et s’adossa à l’un des montants de la porte. Il souffla la fumée, puis, d’une voix forte :
    — Germain, arrête de faire le con.
    Comme il n’obtenait pas de réponse, le policier insista :
    — Je compte jusqu’à cinq et je viens te chercher.
    Il y eut un remue-ménage sous une vieille bâche et Germain se montra, couvert de poussière. Dans la pénombre de la cour, il ressemblait un peu à un fantôme. Il dissimulait maladroitement son larcin derrière son dos. Célestin tendit la main.
    — Donne.
    Penaud, Germain rendit le sac. C’était un bel objet en crocodile avec une anse en bois verni. Le pickpocket n’avait pas encore eu le temps d’en faire l’inventaire. Il lança au policier un air de défi.
    — Et maintenant ? Qu’est-ce que vous allez faire ?
    — De toi, pas grand-chose, mon pauvre vieux. Mais le sac, je vais le rendre à sa propriétaire. Et la prochaine fois, je t’emmène à la gendarmerie.
    Plantant là son voleur, Célestin redescendit vers les quais. La femme était toujours là, appuyée au parapet, encore tremblante de peur. Il lui fallut un temps pour comprendre que c’était bien son sac qui lui revenait. Elle le serra contre elle
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