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Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia

Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia

Titel: Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
Autoren: Sara Poole
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Raphaël a fait de lui, vous l’imaginez en vieil homme frêle à la barbe blanche et à la mine sombre, et je suppose que c’est effectivement ainsi qu’il était devenu lorsqu’il posa pour le peintre. Mais ce jour-là, il n’avait pas encore cinquante ans et jouissait d’une vigueur que nombre d’hommes lui aurait enviée. Ses traits étaient presque doux, sans la barbe qui lui mangeait une partie du visage ; mais il avait tout de même déjà ces yeux très enfoncés sous des sourcils saillants et cette bouche éternellement figée en une moue désapprobatrice.
    Ni lui ni son groupe ne sembla avoir remarqué ma présence. Je soupirai de soulagement et repris mon chemin, dans l’espoir de trouver l’un des secrétaires de Borgia ou, à défaut, de traîner par là, l’oreille tendue, pour recueillir le plus de ragots possibles. J’avais perdu une bonne partie de la journée à ruminer en vain. L’heure des vêpres était déjà passée. D’après ce que je réussis à glaner çà et là, aucun tour de scrutin n’était prévu d’ici au lendemain matin.
    Par conséquent, je présumai que Borgia reviendrait bientôt à l’appartement, et s’attendrait à ce que je lui serve à dîner. Je me dépêchai de rentrer pour être là à son arrivée.
    L’heure venue, il avait l’air fatigué mais en aucun cas abattu. Il prit le temps d’ôter ses gants, de prendre la coupe de vin que je lui tendais et de s’asseoir dans un fauteuil. Puis, sans préambule, il déclara :
    — Je crois que Gherardi est sénile.
    Il me fallut quelques secondes pour comprendre qu’il faisait référence au vieux patriarche de Venise, pour qui on avait accepté de retarder le conclave.
    — La moitié du temps, il retombe en enfance et semble se croire à Venise.
    — Avez-vous obtenu sa voix ?
    Vous vous dites peut-être qu’avec le métier que je fais, je devrais être passée maîtresse dans l’art de la circonspection. C’était le cas de mon père, mais ce talent continue à se dérober lamentablement à moi.
    Fort heureusement mon franc-parler n’eut pas l’air de décontenancer Borgia. Il allait même me confier plus tard que c’était la qualité qu’il appréciait le plus, chez moi.
    — Quand il est avec nous, j’ai l’impression que oui.
    Je fis un pas en arrière et le dévisageai. Mon cœur battait très fort.
    — Alors les jeux sont faits ?
    Il haussa les épaules et but une gorgée de vin.
    — Si telle est la volonté de Dieu.
    Je ne fus pas dupe de sa nonchalance. Je le connaissais trop bien pour ne pas voir que tout en étant profondément heureux, il restait inquiet. Comment pourrait-il en être autrement ? Il était si près du but, et pourtant…
    — Della Rovere le sait, fis-je, ou tout au moins il a des soupçons.
    — Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
    — Je l’ai croisé dans le couloir il y a peu. Il avait l’air… contrarié.
    — Tu sais qu’il est sujet à la constipation ? C’était peut-être ça.
    Je souris malgré moi.
    — Non, je pense que c’était plus grave que cela.
    — Le prochain tour de scrutin aura lieu à l’aube, annonça Borgia. Juste avant, j’irai voir de nouveau Gherardi, en espérant le trouver dans le même état d’esprit que tout à l’heure. En attendant, je te fais confiance, tout comme à ce solide verrou sur ma porte, pour qu’il ne m’arrive rien de mal.
    Je hochai la tête et m’attelai à la tâche de lui préparer son repas, mais en pensée j’étais ailleurs. Quel que soit l’état de ses intestins, della Rovere savait que le couperet était sur le point de tomber. J’en aurais mis ma main au feu. Et pourtant, Morozzi semblait si sûr de parvenir à commettre un meurtre et de s’en tirer en faisant passer une autre pour responsable.
    — Della Rovere sait forcément que le seul moyen de vous empêcher de devenir pape, désormais, c’est de laisser Morozzi vous tuer, dis-je en servant le repas.
    — On dirait bien… marmonna Borgia.
    Il ne semblait guère enclin à reparler une fois de plus de la périlleuse situation dans laquelle il se trouvait.
    — Mais, continuai-je autant pour moi que pour lui, pour autant qu’ils se soient alliés, della Rovere et Morozzi n’ont pas vraiment le même but.
    J’avais déjà réfléchi à cette question, sans y prêter réellement attention. À présent je me forçai à le faire, la tournant dans un sens, puis dans l’autre, à mesure que montait en moi la conviction que ce qui
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