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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier
Autoren: Robert Margerit
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I
    Ce mois de juin 93 était radieux. Fini, le printemps froid. Toutes les roses de Paris s’épanouissaient, tandis que, sur la place de la Révolution, tombaient à intervalles quelques têtes. Un soir – la lumière s’attardait aux clochers de Saint-Germain-des-Prés –, dans la rue des Anges, toute proche, étroite, déserte et déjà noyée de nuit, un homme en habit sang-de-bœuf vint frapper à la porte d’une maison. On ne répondit point. Il frappa plus fort. Enfin, il entendit un pas descendre avec prudence. L’huis s’entrebâilla, une figure de vieille femme apparut dans le halo d’une chandelle.
    « L’abbé est-il chez lui ? demanda l’homme en rouge.
    — Mais, citoyen, vous faites erreur ! Il n’y a pas de prêtre ici. »
    Haussant ses larges épaules, le visiteur poussa la porte, entra. « Il m’attend, je vous prie de me conduire.
    — Ah ! Monsieur me pardonnera. On est tenu à tant de précautions, voyez-vous ! » dit la vieille servante en prenant les devants.
    À sa suite, il monta quatre étages, suivit un couloir étroit, plein de détours, puis il fut introduit dans une soupente. Il y faisait très chaud, la tabatière levée ne laissait guère entrer de fraîcheur. Un prêtre ultramontain était là : l’abbé de Kérave-nan, réfractaire rescapé du massacre de l’Abbaye. Posant son bréviaire, il s’avança vers le visiteur. À sa puissante carrure, à son négligé – la cravate relâchée, le jabot froissé –, à sa grosse tête rougeaude, pleine de grêlures, à sa chevelure blonde en crinière, la bouche sensuelle et bonne, l’œil bleu éclatant, le prêtre reconnut Danton. Il l’attendait, en effet. Cette présence ne l’impressionnait pas moins.
    « Monsieur l’abbé, lui dit l’effrayant personnage, vous savez pourquoi je suis ici. Serez-vous assez bon pour m’entendre, pour m’absoudre ?
    — Mettez-vous à genoux, mon fils. »
    Gauchement, Danton s’agenouilla sur un mauvais prie-Dieu, devant un crucifix pendu au mur, et joignit les mains. Autour du confesseur et de son extraordinaire pénitent, l’ombre, le silence. Le fond de la pièce reculait dans la nuit. La grande voix de bronze se faisait murmure.
    « Mon père, je m’accuse…»
    En vérité, il n’était venu que pour pouvoir épouser une enfant de seize ans. Moins de quatre mois après avoir, dans la violence de sa douleur, passionnément étreint le cadavre de sa femme exhumée, il en voulait une autre, une que Gabrielle-Antoinette connaissait et aimait bien : la fille du citoyen Gély, commis aux bureaux de la Marine. Danton lui-même lui avait procuré cet emploi, l’année précédente. Les Gély étaient fort amis des Charpentier. Ils estimaient Danton et lui devaient de la gratitude, mais ils s’effrayaient de donner leur fille à un tel personnage. Ils exigeaient un mariage par le ministère d’un prêtre de la religion traditionnelle, parce qu’ils demeuraient fidèles à leur tradition bourgeoise, peut-être aussi avec l’idée que le tribun reculerait là devant. C’était mal le connaître. « Il me faut des femmes », disait-il, et il en avait eu pas mal, juste avant et depuis la mort de Gabrielle. Ce n’était pas celles-là qui lui convenaient. Il lui en fallait une à lui, dans son foyer. Ayant jeté son dévolu sur Louise, hier encore la petite Louise, à présent si délicieusement éclose, il n’avait pas hésité à se mettre entre les mains de cet abbé Kéravenan, ami des Gély.
    Le lendemain, dans la même mansarde, devant une table en guise d’autel, fut célébré le mariage clandestin, suivi peu après de la brève formalité au bureau de la section. C’est le catholique Lanjuinais, gallican, qui avait fait transformer les registres paroissiaux, tenus par les ecclésiastiques, en registres d’état civil, confiés aux officiers municipaux. Dans la relevée, les nouveaux époux reçurent quelques amis, cour du Commerce où le portrait de Gabrielle demeurait fleuri sur la cheminée du salon. Lise alla embrasser la mariée, féliciter Danton. Claude, venu un instant, repartit bien vite, appelé par le travail.
    La besogne, au pavillon de l’Égalité, augmentait sans cesse avec la complexité et les périls d’une situation terriblement confuse. Le 3 juin, quand les gendarmes expédiés par le Comité révolutionnaire s’étaient présentés au domicile des trente et un députés ou ministres en état d’arrestation provisoire, la
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