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Testament Phonographe

Titel: Testament Phonographe
Autoren: Léo Ferré
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vous ne m’intéressez pas. Moi, je suis contre.
    Je me propose, dans ma solitude définie, une morale non euclidienne. Le plus court chemin d’une pitié à l’autre, ce n’est pas une droite, c’est un sacré détour. Il m’importe que j’oppose à votre « oui » un « non » qui m’aille comme un gant ; il me faut ma pointure de « non ». Mon refus est à moi et je ne peux le partager avec quiconque. Ma qualité d’artiste m’inclinerait, pensez-vous, à vous persuader. Mais je ne tiens nullement à m’inscrire sur vos carnets de téléphone. Je ne suis pas de vos connaissances. Quand je me rencontre, je m’évite, tellement je vous ressemble. Je trouve que la Révolte même n’est plus de mise. La Révolte, c’est une façon de rentrer dans la Cité. C’est une vertu tribale, une arme défensive. C’est une négation de complaisance. La Révolte – comme le Désespoir – est une forme supérieure de la Critique, mais une critique silencieuse – informelle, diriez-vous, dans votre jargon de géomètres télévus – oui, informelle et monstrueuse, c’est pour ça que je ne la sors guère.
    J’ai mis sur la table votre beau « revolver à cheveux blancs », André. Il est admirable. Il pourrait servir, savez-vous ? Il est là, tranquille, comme une bête tranquille aussi et qui attend le combat pour se mettre quelque chose sous la dent. C’est curieux, ce revolver qui se love sous le rayon de ma lampe. Il est juste derrière ma machine à écrire électrique. Il voudrait bien être électrique, lui aussi. Partir, comme ça, sous une simple caresse comme partent les caractères sous la caresse de mes deux doigts. Un seul doigt lui suffirait, juste un peu, sous sa gorge. Il meurt d’attente. C’est un vieux revolver, André, un très vieux revolver. Il meurt de vouloir être tiré « dans la foule, au hasard… ». Il veut vivre sa vie de revolver, il a besoin d’une présence manuelle. Il a besoin d’être fini. Or, ce n’est qu’un morceau de métal. Je pense pour lui à une poche, à une gaine ; ça lui ferait du bien ce contact du tissu tout chaud, du cuir. D’habitude c’est froid, un revolver, ça meurt de froid dans la littérature. La littérature, c’est le revolver des impuissants.
    Rien ne m’irrite comme la parole incontrôlée, tant qu’elle est la parole. La dictée automatique ? Il faut avoir l’œil sur son profond magnétophone encore qu’on puisse tricher. L’inconscient a ses moyens de contrôle, lui aussi. Il a ses flics. Il a aussi Freud qui l’a pris pour une maison de tolérance. La maison libido, sacré repaire d’exilés…
    Je ne vous lâcherai vraiment que le jour où, vous lâchant, mon lâchage n’aura pour moi aucune signification. Et c’est difficile. Il y a les larmes, les valises et le spleen, mot anglais propre aux terreurs anglaises et qui donne de l’accent à notre cafard. Les larmes se partagent, les valises s’échangent, se vident, s’aident. Le spleen se porte seul comme une croix de brume. Jésus avait beau jeu. Son père l’avait reconnu. Il savait qu’il pourrait rentrer à la maison la tête haute. Ma maison à moi se trouve dans une contrée non homologuée, dans une dimension copine, sans Droit, sans Religion, sans Métaphysique, avec, bien entendu, un Antidroit et tout ce qui se fait de mieux dans l’Anti. C’est là que j’y tiens les clefs de ma maison d’Anarchie.
    Je ne dis pas que je suis seul. Je ne l’écris à personne, non plus. La chose épistolaire est affaire de fourbe. Je suis un objectif et ne tiens pas à être le malade quêtant la potion. Une lettre, c’est un peu une quête. Pourtant, j’aime le courrier. J’aime donner la potion, qu’on me la réclame par le canal de ce personnage pour moi mythique qu’on appelle le facteur. Le facteur m’apporte du mythe : cette parole dans son corset de page d’écriture où je surprends l’Autre dans toute sa glace. Une lettre est toujours pour moi une tragédie. Je n’y cherche pas le talent – Shakespeare m’écrit rarement – mais cette sorte de mise à nu encrée de l’âme et de la faim des gens – qu’elle soit biologique ou littéraire. Une lettre c’est un graffiti privé, une écriture obligée, une mise en scène. Ne pas ouvrir le courrier et l’entasser jour après jour, indemne, dans une malle du silence, comme le fit Satie I . Génie de l’indifférence. L’indifférence est notre béquille à nous, les
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