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Testament Phonographe

Titel: Testament Phonographe
Autoren: Léo Ferré
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métaphore, pour n’être plus qu’un vouloir de réflexion, alors s’arrêterait mon temps d’homme pour que commence un temps plat, le temps de l’exil absolu : je verrais « rien » puisque je suis « rien ». C’est dans cette pauvre aventure de voyance qu’il faudrait chercher la cause à notre besoin des Autres. Nous nous voyons en eux. Nous regardons toujours plus ou moins dans la foule, dans la rue déserte, dans un inconnu, une doublure. Cette putain qui me croise et qui me hèle, que suis-je d’autre pour elle sinon une fraction de sa prochaine fourrure, son café crème à croissants, sa note de gaz. Quand elle me voit je suis la nuit, je suis dans son domaine. Autrement je suis elle. Elle couche avec elle. Elle couche avec sa petite métaphysique de désespérée trottinante, enfin, quand je lui fais sa métaphysique… Elle, sinistrement, ne fait que ses viscères. Les gens qui travaillent avec leurs mains, avec leur corps, ne se cherchent pas de doublure. Ce sont les lucides, les poètes qui veulent entrer dans les autres, parce que ce sont des exilés. Alors, ils partent, ils partent…
    Les départs sont des répétitions de la mort : Quand, au bout du quai, le train roulant déjà vite, on perd de vue l’être qui agite son fanion mouchoir, il se passe quelque chose, comme un bris de l’âme, et l’on entre dans le coma de l’absence qui est une mort figurée. À l’enterrement de l’exilé, l’exilé marche devant. C’est un mort debout, alimenté, en instance. Je n’aime pas les ports, ni les gares, ces antichambres du néant. Le partir n’implique pas la distance. Le partir c’est de l’imagination.
    Que vaut-il mieux ? Que tu sois à dix mille kilomètres de moi, que je te sache vivante, t’aimant, alors que tu m’as quitté, ne m’aimant plus, ou bien que tu gises au cimetière, moi habitant l’hôtel tout proche, et t’apportant des fleurs, et te parlant comme on parle aux choses, devant la définition même de ta condition de morte, ce silence pourri ? Je préfère te savoir à dix mille kilomètres de moi. Tu t’es certes extirpée de moi, tu m’as trompé pour « faire » du conflit mais moi je reste pour te « faire » du remords. L’exil que tu m’as fabriqué est une raison de m’exiler en toi, de te visiter dans les coins inhabités de ta mémoire et d’y pondre mon œuf. Je suis devenu le souvenir. Quand tu me passes dans ta visionneuse, c’est un faux de moi que tu vois, un moi de la veille. Les exilés ne vivent pas dans la mémoire. Ils vivent demain.
    Pour m’exiler en Chine, il faudrait que ce ne fût pas la Chine, la vraie, avec ses chinois. Il me faudrait une Chine spécialement aménagée. La Chine, pour moi, c’est souvent à quelques mètres de ma maison. Les Champs-Élysées, la forêt vierge, la lune, le passé simple, rien ne m’étonne comme l’ennui, cet exil marginal, cette solitude habitée, cette permanence sentimentale dans l’absurde. Je parle d e l’ennui métaphysique et non de celui qu’on peut réduire par la satisfaction du manque qui l’a provoqué. Cet ennui domestique, je n’y vois qu’une prolifération d’échanges économiques mal assortis. Quand il fond sur moi, je sors acheter des cigarettes et cela m’immunise un temps. Le tabac ? Il faut savoir lui parler. Le tabac est un amant, dans les prisons ou devant la page blanche.
    Les philosophes ont un code. C’est pour mieux masquer leur indigence d’exilés. La méditation, voie de garage, est aussi une impasse. Au bout de la méditation, il y a une butée, ce désir de revenir et de rentrer dans le siècle. Les grands solitaires portent en eux toute une génération de refus qui peuplent leur cabinet de travail et, quand ils méditent, ils ne retournent pas dans le siècle. Dans le refus on dresse l’oreille, on ouvre l’œil et on reste dans le refus. C’est dans la négation que l’œuvre d’art s’engendre. Nier les couleurs, mettre du mauve dans ce qui ne paraît pas mauve et s’appeler Gauguin, voilà qui est du refus transmis. L’art. La liberté est un renoncement. La liberté s’apprend dans une pièce carrée, fermée. C’est de la pure négation. Si quelques fous n’avaient pas dit « non », contre toute évidence, depuis que nous roulons sous les saisons, nous serions encore dans nos arbres. L’évidence, c’est la seule préoccupation du pouvoir. Le soleil se lève à l’est, pas vrai ? Vous autres de l’affirmative,
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