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Testament Phonographe

Titel: Testament Phonographe
Autoren: Léo Ferré
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qu’on le sonne pour l’entraînement. C’est un silence qui le sonne : le silence des probabilités économiques, cette sorte de hasard sonore qui lui fait dresser l’oreille.
    À l’engrais, le poète invente des nouveaux langages, le musicien aussi. Bientôt l’artiste sera prié de prendre son service le matin à telle heure, dans un bureau agencé selon son rang et son plaisir : quelque chose d’agreste avec jets d’eau, jeu d’échecs, cendriers électroniques aspirant des idées de cendres, piscine alimentée par du champagne factice parce que le factice c’est déjà de l’art. La solitude y est prévue rationnelle, visible de l’extérieur, fonctionnelle pour le rendement. On pourra « voir ». On saura que François Mauriac écrit avec un stylo-bille, un stylo-encre, un crayon. On connaîtra sa façon de tenir l’outil, dans le prolongement du bras, l’index saupoudrant l’idée force, le médius soutenant l’extraction de la métaphore, le pouce, à gauche, gardien de la rigide grammaire. On verra l’aventurier Malraux dans son aventure assise, le petit doigt sur la couture de ses cicatrices espagnoles. On verra les techniciens de l’imagination, en panne, se levant, bâillant, répondant au parasite téléphone, revenant à leur métier, pestant contre Proust et sa persistante présence dans les lettres contemporaines. L’engagement, ça sera un peu Tataouine.
    Le poète dans l’homme jusqu’au cou ? Rodin, lui, était dans l’homme jusqu’aux mains. La sculpture est un dialogue. Le sculpteur n’est jamais seul. Il malaxe, et l’acte de toucher pour « faire » le dispense de toute vraie solitude. Le Bernin « faisant » l’extase de Ste Thérèse, on se demande combien cela lui a coûté, et dans quelle monnaie. La sculpture, art sexuel, ne se manigance qu’à deux. Les formes, le chemin de ronde selon le soleil posé ou incliné, les draps de marbre qui donnent de l’idée à l’esthétique, ce poids du vêtement à jamais enfilé, cette figure qui s’ombre d’une joie arrêtée, comme un plan de film qui fouillerait le millième de seconde, tout cela participe de cette exubérance de la matière trahie, cette matière devenue vivante et qui bouge sous la lumière, qui parle. Le sculpteur est père et mère à la fois. Glaise, marbre, pierre : il vit dans une maternité. Il transporte de l’humain. Il fait de la dimension. Il fait de l’amour qu’on touche. N’est pas seul qui veut…
    Le peintre, lui, vit dans un tube. Depuis la photographie et ses images incontrôlables, il est devenu solidaire du spectre. Van Gogh, fou, à Arles, quand il sort de son tube, se coupe l’oreille. Entre les tournesols et le bordel, il y a une entremetteuse : la palette, cette frangine d’extase. C’est que le peintre vit dans un univers fini. Ce qu’il voit lui est étranger. Ce qu’il pense voir, dans l’exil du chevalet, voilà qui le retire du monde tout à fait, jusqu’à ce que les boursiers de l’histoire de l’Art s’en emparent pour en faire une valeur mobilière. Du tragique à l’économique il n’y a que le temps des larmes et la réflexion positive des marchands du beau qui violent les demeures solitaires des peintres.
    Dans la lumière de soie de certaines estampes de Rembrandt, dans le lecteur illuminé de Redon, dans le fouillis divaguant du Samaritain de Bresdin, dans le premier état de la Notre-Dame interrompue de Méryon, il passe un peu de ce mystère du jour, de ce jour fabriqué avec du noir, qui fait du peintre-graveur un exilé au deuxième degré, un exilé dans le papier, dans la trame, dans le tréfonds de la pâte. Ceux-là, on ne les montre pas trop dans les musées : ils font peur. Ils ressemblent à des filigranes.
    Une dialectique de l’exil volontaire m’amènerait forcément aux confins du suicide. Mais on ne parle p lus du suicide depuis Camus. Ce n’est pas « le » problème philosophique. Ce n’est rien d’autre qu’un crime retourné. Un crime négatif. Le remords qui m’en arrive par avance, comme une information d’avant le fait divers me tient quitte vis-à-vis de ce faux acte de nettoyage. Le suicide est un exil mis en scène, avec des tubes, des lettres et ces journaux du lendemain qu’on ne lira jamais. Tant qu’à être dans la Lumière, j’aime autant ne pas avoir à faire jouer les noirs. J’attends.
    Je tiens que le suicide du terroriste sautant avec sa propre dynamite ou que celui du kamikaze
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