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Testament Phonographe

Titel: Testament Phonographe
Autoren: Léo Ferré
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misanthropes.
    L’œuvre d’art est seule. Le paysage que je regarde en ce moment, avec ses cymbales de soleil, parmi les arbres debout qui lancent leurs mains de branches à tout vent et semblant pointer je ne sais quel lieu géométrique, est une œuvre d’art authentique. C’est une œuvre de mon œil. C’est résolument incommunicable. L’œuvre d’art que l’on partage, le livre qui se propage à des milliers d’exemplaires, la musique qui s’emmagasine dans la cire, cette œuvre d’art est une concession. On est toujours la concession de quelqu’un ou de quelque chose. Chartres est une concession à la lumière qui perce ses vitraux et qui nous raconte une histoire colorée. Dans Chartres un silence est déjà marqué dans l’écho des voûtes. Chartres change à chaque seconde car le fuseau horaire qui fait le soleil et ses copains d’ombres et de lumières dévide le temps de la visite. C’est un peu comme mon paysage vu. C’est l’œil qui fait Chartres, à telle heure, à telle minute, dans ce treizième siècle qui n’en finit pas de se faire les yeux dans la vitrine d’en face. Chartres de la patine. Exil de pierres transfigurées.
    Tout enfant chantaient en moi des symphonies. Cela montait du profond, de l’autre côté, avec une volonté de s’oublier aussitôt, de se finir en une sorte de goût de rien. Les idées fugitives ont un goût négatif. Cela vient d’un autre sens. Seul, dans le « faire », l’artiste rentre dans le rang par la publication. L’art finit par être une polycopie qui met le beau sur toutes les tables, dans la graisse des hommes qui bientôt chercheront d’autres sortilèges. Dans cinquante ans on n’écoutera Beethoven qu’après un reportage dans un journal à sensation. Un reportage sur sa surdité et sur l’ingratitude de son neveu. Il sera inaudible. Il sera «  lu  », électriquement. On n’écoute déjà plus la musique, on la laisse lire par le secteur de la Compagnie d ' Électricité Joli. La prostitution ça n’est plus une affaire de coin de rue. C’est une affaire d’Art. Les putains de la chose artistique devraient passer la visite. Encore que les morts, ça ne se visite guère. Et puis, ça ne coûte rien.
    L’art littéraire est directement chez le consommateur. C’est un exil de compromis, entre la tour d’ivoire et le Café de Flore. Hugo, occultiste dérisoire à Jersey, exilé par destination, écrivait. Son exil me fait penser à celui des oiseaux. Ils partent et reviennent, affaire de confort thermique. Hugo à Jersey, oie sauvage, ne s’empêchait pas de crier par-dessus les flots, dans cette romantique transcendance qui fait de l’artiste exilé, du « politique », un enfant chéri des prostrés, des vaincus, des déracinés, de ceux qui lissent leurs poings au fond de la poche en attendant des jours possibles. Il est utile que les poètes fassent de leur départ un dogme. On trouve toujours quelque néophyte. La religion du départ, pour ceux qui restent, est un transfert qui fait de l’idole et de l’adorateur deux complices. La colère imagée, écrite, de l’un se mêle à la colère latente et non formulée de l’autre. Cela fait une chaîne de fidélité dont le dernier chaînon s’accroche au Panthéon dans un exil funéraire de première grandeur, un exil gravé. Hugo était dans l’homme jusqu’au cou.
    L’écrivain est un homme de foule. Il s’engage, dit la philosophie présente. C’est un engagé unilatéral. Il signe sans savoir qui sera le partenaire de ses nuits d’insomniaque à cogiter le trouble et la générosité. Les impératifs sont agaçants. Je refuse de m’engager chez qui et pour qui que ce soit. Je trouve l’engagement, avec ses adhérences politiques, d’une banalité démagogique hérissante. L’écrivain, aujourd’hui, écrit dans l’autobus. Il « existe » dans son patron et sa victime, le lecteur, qui n’est plus l’hypocrite de Baudelaire, mais le client sollicité, arnaqué à la vitrine de l’éditeur en vogue, le gibier des bandes publicitaires. On lève un lecteur comme on lève un lièvre et l’écrivain se trouve du côté des rabatteurs, chien famélique ou gras, toujours la gueule de l’autre côté de la vitrine, le côté rue. La culture, cet amoncellement d’autrui est au « pressing », on la ravaude, on la repasse, on la comprime. On vous la met de force dans la poche. On encyclopédise le savoir. L’écrivain attend, à l’écurie,
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