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Testament Phonographe

Titel: Testament Phonographe
Autoren: Léo Ferré
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fonçant à bombes ouvertes sur l’objectif est un numéro de music-hall. L’ivresse d’avant le grand saut, ce suprême exil au-dessus du baril de poudre, cela fait partie des « variétés » du crime et je n’y crois pas. Je ne crois en rien d’autre qu’à une certaine tristesse, dans un matin de brume encombrée de toiles nocturnes des araignées orbitèles qui, telles Sysiphe II , recommencent nuit après nuit leurs danaïdes tapisseries de gaze. L’inquiétante solitude de la Nature, à peine l’œil ouvert, ses arbres se serrant les uns contre les autres, emmitouflés dans l’espérance des oiseaux traqués, une fumée romantique et traçant dans le ciel tout proche un premier signe d’humanité, les pierres toujours recommencées dans leur graniteuse vanité, tout cela me traîne inlassablement vers cette mort des choses, des actes, de tout. Cette mort qui connaît seule, la technique de l’exil : la décomposition.
     
    LE MOT, VOILÀ L’ENNEMI. Il n’y a pas d’arbre sans le mot « arbre ». Rien n’existe que je ne doive nommer. Par-delà les matins crispés de novembre, je pense à des étés de marmottes. Dans les soleils de givre de mon âme engourdie, je sue, mieux qu’au désert. Mon âme, ton âme. Si je ne puis nommer, je flanche. Les larmes ? Pourquoi les larmes ? Je suis né une métaphore au bec. Rien ne m’a surpris jamais que ma surprise n’arrangeât aussitôt en une scène ou deux de drame. Enfant, j’ai pris de la métaphysique au pis de ma mère. D’autres diraient du lait… Parlons-en de ce jus de principe. Au commencement était le lait. Moi, j’en reste au sceptre, aux sauces, à la sueur délicate qu’il m’est encore loisible de respirer aujourd’hui en reniflant sous moi. J’ai des aisselles barbues par où je pénètre dans le monde des obscurs, des hymnes, des jazz gras, des passions d’orthoptères. Lis-donc la vie de ces insectes, c’est rupinant au possible. Je vis multiple.
    La poésie ? Un glaïeul qui se pique, un ventre de fille ovipare, un paradis sous une chaise, avec un œil de verre. Je tiens que la vie n’y passe au travers qu’à force de poignets, d’ombelles noires, de paquets d’alpague, de riz. Rien ne me blesse et tout sourd, objectivité comprise – pour le mal être, l’anti-droit et la marelle à coucous. Nous avons cent ans, dix mille siècles, un pourpoint, un jet de caillou, un paravent japonais. Pourquoi une voûte ? Je meurs d’une solitude gothique, architravée… Misère !
    Un jour je te dirai pourquoi j’écris. La poésie s’arrange toujours ; il suffit d’être là, truelle en main et sueur suintant au soir, devant la soupe, comme un maçon. Tu es maçon, je suis maçon avec au bout de ma plume des tonnes de ciment gueulant de soif dans le désert de mon « inspiration ». J’ai une muse suspecte qui a des bas de châtaigniers toujours verts, des avoines à Mercédès et de l’eau claire qu’elle pompe à longueur de minutes séchées dans ma gourde frileuse. Et je musarde malgré ça !
    J’ai le culte d’un certain désordre, une porte mal ouverte sur un assemblage imbécile où flirtent, maladroitement, une vieille page de garde d’un livre ancien, roux d’ennui, une grosse boîte d’allumettes, une paire de bretelles, une boîte à mauvais violon acheté pour rien chez un mauvais chineur, un tube de produit pharmaceutique, un emballage de film. J’ai le culte des mares où volettent des moustiques, des mouches, toute une floraison de veinules griffées d’ongles. Dans le désordre de ma maison, dans celui de la mare, je projette de m’aliéner, bêtement, fumant cigarette sur cigarette, grattant, ressassant dans le pénible crépuscule de la soixantaine des souvenirs que je voudrais bien équivoques pour mieux les immoler aux terreurs bourgeoises que je détecte jour après jour autour de moi. Je m’aliène dans les mots. Quand je dis : « je vous méprise », je me donne à vous quand même sous le couvert d’un mot, d’une injure. Vous m’avez à portée de mépris, vous aussi. Je boite .
    Rien n’égale en ivresse cette attente au bout de l’ennui quand bâillent les violettes, quand plongent les lourds nuages de Baudelaire, là-bas, vers les météorologies secrètes et dont jamais aucun météorologue pourra dire l’exacte définition. Tout est dans tout. Mon âme ainsi, pareille aux désordres qui m’assaillent se trouve toujours aux confins des miettes, du regain, du
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