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Si je meurs au combat

Si je meurs au combat

Titel: Si je meurs au combat
Autoren: Tim OBrien
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appris que le plus important concernant la prairie, c’était que n’importe laquelle de ses parties ressemblait à toutes les autres.
    Parfois, la nuit, je me baladais en ville. « Dieu est à la fois transcendant et immanent. C’est ce que pense Tillich (6) . » Quand je me baladais, je choisissais les rues les plus sombres, où il n’y avait pas de lampadaires. « Mais Dieu existe-t-il ? Enfin, Dieu existe-t-il au même titre qu’un arbre ou qu’une pomme ? Dieu est-il un être ? » En général, je finissais par prendre la direction du lac. « Dieu, c’est l’Être Suprême. » Le lac, le lac Okabena, reflétait l’être suprême de la ville et faisait rebondir un motif noir et blanc identique à toute cette prairie déserte : plat, tiède, minuscule, étouffé d’algues, encerclé de maisons de la classe moyenne, pris au lasso par un cercle de docteurs, d’avocats, de comptables, de dentistes, de commerçants, de propriétaires de grands magasins. « L’être suprême ? Cette ville est-elle donc Dieu ? Il existe, non ? » Je passais devant les coins où vivaient les jolies filles. Je m’arrêtais juste assez longtemps pour regarder leurs maisons, toutes les lumières éteintes et les rideaux tirés. « Bon Dieu, je marmonnais, j’espère pas. Peut-être que je suis athée. »
    Un beau jour, en mai, le lycée a fait sa cérémonie de remise des diplômes. Je suis alors parti à la fac et, en ville, on ne m’a pas trop regretté.

III

LES DÉBUTS
    L’été 1968, l’été où je me suis transformé en soldat, c’était la période idéale pour parler de la guerre et de la paix. Eugène McCarthy (7) nourrissait le sujet de ses sages pensées. Il emportait des voix lors des élections primaires. Les étudiants le suivaient de près et certains d’entre nous essayions de lui filer un coup de main. Lyndon Johnson avait pratiquement sombré dans l’oubli, il n’intimidait plus et ne faisait plus trembler personne ; Robert Kennedy était mort, mais pas complètement oublié ; Richard Nixon avait l’air d’un perdant. Avec toutes les tragédies et les changements survenus lors de cet été 68, le climat était propice à la discussion.
    Et, au milieu de tout ça, il y avait une feuille de convocation sous les drapeaux cachée dans un coin de mon portefeuille.
    Donc, avec les amis, les connaissances et les habitants de la ville, j’ai passé l’été dans ce café antiseptique, Chez Fred, à boire du café et à transcrire les différents points de vue sur les serviettes en papier de Fred. Sinon, je traînais au bar Chic et je buvais des bières avec les mômes du coin. Je jouais au golf et je déchirais la table de billard dans la salle de bowling, à l’affût des lycéennes potentielles.
    Tard le soir, quand la ville devenait déserte, avec deux ou trois potes, on se baladait en bagnole autour du lac. On parlait de la guerre avec le plus grand sérieux, en reliant soigneusement un argument à l’autre, en essayant de faire de tout cela un dialogue et non pas un débat. On passait en revue tous les grands sujets : la justice, la tyrannie, l’autodétermination, la conscience et l’État, Dieu, la guerre, l’amour.
    Des potes de fac me rendaient visite : « Dommage, j’ai entendu que t’avais été appelé sous les drapeaux. Qu’est-ce que tu vas faire ? »
    Je répondais que je ne savais pas, que je laisserais le temps décider. La situation allait peut-être changer, la guerre allait peut-être s’arrêter. On en profitait alors pour en parler en profondeur, on s’étendait, on essayait d’échafauder une synthèse de toutes ces questions, et après on s’octroyait une grasse matinée.
    Ces conversations estivales, corsées d’un bon paquet de références aux philosophes et universitaires spécialistes de la guerre, étaient réfléchies, longues, complexes, soignées. Mais, au bout du compte, cette argumentation soignée et précise me faisait plus de mal que de bien. C’était douloureux de décortiquer de façon si délibérée chacun de ces axiomes, de ces suppositions et de ces corollaires, alors que les membres du comité de conscription de la ville m’appelaient sous les drapeaux avec un sourire tellement sincère.
    — Tout va bien se passer, disaient-ils. Passe nous voir quand ce sera fini.
    Donc, pour clarifier un peu la discussion, et aussi pour mettre des mots sur mes angoisses les plus secrètes, je commençai à dire autour de moi que
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