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Si je meurs au combat

Si je meurs au combat

Titel: Si je meurs au combat
Autoren: Tim OBrien
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j’allais peut-être prendre la fuite.
    J’étais persuadé, à l’époque, et je le suis toujours aujourd’hui, que cette guerre n’était pas juste. Et comme elle n’était pas juste, comme un paquet de monde y perdait la vie, ça en faisait quelque chose de tout simplement mauvais. Le doute, bien sûr, se trouvait aux abords de toutes ces grandes idées : je n’avais ni l’expertise ni la sagesse qui auraient permis de synthétiser une véritable réponse ; la plupart des faits demeuraient extrêmement vagues, et il était impossible de prédire quel type de gouvernement serait mis en place après une victoire du Nord-Viêtnam, pas plus d’ailleurs qu’après une victoire américaine, et on ne nous dévoilait jamais aucun détail technique sur le conflit : ces détails étaient enfouis en partie dans l’esprit de certaines personnes, en partie dans les archives du gouvernement, et en partie sous les décombres irrécupérables de l’histoire. Je me disais que la guerre était mal conçue et médiocrement justifiée. Mais je faisais peut être fausse route, et qui pouvait vraiment le savoir, après tout ?
    En plus de tout cela, il y avait la ville, ma famille, mes profs, toute l’histoire de la prairie. Comme des aimants tous ces trucs tiraient d’un côté ou de l’autre, presque comme des forces physiques qui ajoutaient de la lourdeur au problème initial, de sorte que, au bout du compte, c’était moins la raison que la gravité qui prenait vraiment le dessus.
    Cet été-là, ma famille faisait très attention. Il s’agissait de ma propre décision et personne n’osait aborder la question. La ville était là, elle s’étendait sur le maïs et m’observait, les bouches des femmes et des membres du Country Club attendaient, toujours prêtes à bondir sur le moindre faux pas. Ce n’était pas une grande ville, pas une Minneapolis ni une New York, où le fils de son père peut éventuellement échapper au regard inquisiteur des habitants. De plus, je devais quelque chose à la prairie, j’avais vécu pendant vingt et un ans sous son régime, accepté son éducation, mangé sa nourriture, gâché et englouti son eau, bien dormi la nuit, conduit sur ses autoroutes, sali et respiré son air, je m’étais vautré dans son luxe. J’avais joué dans ses équipes des Minimes. Je me souvenais du Criton de Platon, quand Socrate, faisant face à une mort assurée – la peine de mort, pas la guerre –, a l’opportunité de s’enfuir. Et à ce moment-là, il se souvient qu’il aurait pu quitter le pays depuis soixante-dix ans s’il l’avait voulu, s’il n’était pas satisfait, si les accords qu’il avait conclus avec le pays n’étaient pas justes. Il n’avait pas choisi de vivre à Sparte ni en Crète. Je me suis alors rappelé que moi non plus, je n’avais jamais beaucoup pensé au Canada avant cet été fatidique.
    C’est comme ça qu’a passé l’été. Des après-midi en or sur le terrain de golf, le sentiment réconfortant que le sujet de la guerre ne me toucherait jamais, des nuits dans la salle de billard ou au drugstore, à parler avec les gars de la ville, à tourner et retourner les questions dans tous les sens, à philosopher.
    Vers la fin de l’été, le moment était venu de partir à la guerre. Ma famille m’a accordé, avec prudence, une sorte de Dernier Souper. On a mangé ensemble et, après le repas, mon père, qui est un homme courageux, a dit qu’il était temps de se rendre à la gare routière. Je suis retourné péniblement dans ma chambre et j’ai regardé mes affaires, je me sentais plutôt ridicule, je pensais que ma mère y viendrait dans un jour ou deux et qu’elle pleurerait sûrement un petit peu. Je suis revenu d’un pas lourd dans la cuisine et j’ai posé par terre mon sac à bandoulière. Ils sont tous venus à mes côtés, m’ont dit à bientôt, porte-toi bien, écris, dis-nous si t’as besoin de quoi que ce soit. Mon père a pris la feuille de convocation, vérifié l’heure, la date, tous ces trucs de dernière minute, et une fois que j’ai eu fait la bise à ma mère et attrapé mon sac, question de me réconforter, il m’a dit de le reposer, parce que je n’étais pas censé me présenter au dépôt avant le jour d’après.
    Cette erreur nous a tous fait marrer. J’ai piqué un fard bien rouge et je me suis ramassé une avalanche de coups dans les côtes. Enfin, je respirais. Je suis allé faire une longue balade en voiture
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