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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango
Autoren: Régine Deforges
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joie
éprouvée en voyant François et Charles venir à elle, s’estompaient. Rien de
tout cela n’était vrai ; ce n’était qu’une farce, une mascarade… ce n’étaient
que des fantômes… Que faisait cette femme tondue, gesticulant dans la robe de
sa mère ?… et cette jeune fille trop maquillée qui lui rappelait les
putains de haut-vol fréquentant les officiers allemands dans les bars de
Bordeaux ?… ces enfants bruyants aux doigts et aux joues barbouillés de
jus de mûres ?… ces vieilles femmes en robes noires qui ressemblaient aux
bigotes de Saint-Macaire ?… et cet homme au visage marqué, au sourire
ironique ?… pourquoi souriait-il ? Qu’y avait-il de si drôle ?… et
cette façon de la regarder ! Une exaspération grandissante brouillait ses
pensées. Jamais !… jamais ! elle n’aurait dû remettre les pieds à
Montillac, tout y était détruit, sali, mort !… De l’allée des charmilles, elle
s’attendait à voir surgir Maurice Fiaux et ses miliciens… des cris, des
hurlements résonnaient dans sa tête… ce n’étaient pas les coups de marteaux des
charpentiers qu’elle entendait, mais les coups de crosse des fusils détruisant
les portes de la maison… cette fumée s’élevant en contrebas de la terrasse, ce
n’était pas celle de l’herbe brûlée, mais celle qui montait du corps martyrisé
de sa tante Bernadette…
    Avec violence, Léa repoussa ces femmes et
ces enfants qui s’accrochaient à elle. Ils ne l’auraient pas… elle ne se
laisserait pas prendre…
    Stupéfaites, ses tantes et ses sœurs la
regardèrent s’enfuir. François Tavernier fut le seul à deviner ce qu’éprouvait
la jeune femme.
    Elle courut à travers les vignes comme un
animal affolé, butant contre les mottes de terre, tombant, se relevant, retombant…
Il n’était qu’à quelques pas quand elle l’aperçut, et ne le reconnut pas. Une
seule phrase cognait dans son esprit confus : « Ils ne m’auront pas !…
ils ne m’auront pas !… » La terreur et la haine lui donnaient des
ailes, elle repartit, plus vite encore, en dépit de ses genoux écorchés. En
passant devant la maison de Sidonie, elle crut entendre la voix de Mathias… Ses
pieds faisaient s’envoler la poussière blanche du chemin menant au calvaire de
Verdelais, lieu de refuge de ses chagrins enfantins, des doutes mélancoliques
de son adolescence et de ses peurs de jeune fille confrontée à la guerre et à
la mort. Elle s’arracha les mains en écartant les branches épineuses d’un
buisson… à quatre pattes, elle gravit les marches du calvaire… Il la rattrapa
et sur ces marches ils luttèrent en silence. François dût user de toute sa
force pour l’empêcher de lui lacérer le visage. Quand il la sentit faiblir, il
murmura des mots apaisants :
    — Doucement, petit, doucement… n’aie
plus peur… c’est fini… là, là, calme-toi… Mon amour, plus personne ne te fera
du mal, je te le promets…
    Peu à peu le corps frémissant se détendit, son
regard perdit de sa démence. Léa se laissa bercer, les yeux clos… elle avait
huit ans, son père la consolait après une mauvaise chute… blottie contre lui
ses sanglots s’apaisaient, sa douleur se calmait… Maintenant, il la soulevait, la
portait dans son lit…
    François l’allongea à l’ombre d’un chêne. Comme
une enfant elle s’endormit brusquement, sa main agrippée à la sienne. Cela lui
rappelait leurs trop rares nuits quand, après l’amour, elle s’endormait au
milieu d’une phrase ; c’était une de ses forces, cette fuite dans le
sommeil.
    Avec douceur, à l’aide de son mouchoir, il
essuya la poussière que les larmes avaient collée sur son visage. Une nouvelle
fois il fut touché par sa beauté, par l’énergie et la vulnérabilité qui
émanaient de ce visage sali. Comme à chacune de leurs retrouvailles, c’était ce
contraste qui le frappait et le bouleversait. Aux frémissements de ses
paupières, il sentait toutes ses souffrances. Il se jura de les lui faire
oublier, de lui donner une vie heureuse et calme, de la combler de cadeaux, de
bijoux, de lui faire découvrir le monde, d’autres paysages, des lieux préservés
de la main de l’homme, de sa présence même… De nouveau, elle le ferait souffrir
par sa coquetterie, de nouveau il entendrait son rire, la regarderait boire du champagne,
l’entraînerait dans une valse qui la laisserait étourdie. Ah ! chasser par
tous les moyens ces images
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