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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango
Autoren: Régine Deforges
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burent en silence, loin l’un de l’autre pour la première
fois, chacun se remémorant les événements de la soirée. Léa revoyait le
tragique visage de Sarah comme éclairé de l’intérieur, le sourire tendre et
narquois qui flottait sur ses lèvres, la pression ferme de ses mains, son corps
nerveux et souple auquel le sien obéissait et surtout cette croix qu’elle avait
tracé d’un geste sûr. Nul doute que la folie l’emportait… N’avait-elle pas
tenté au long de ces semaines de le lui faire comprendre ? Léa n’avait
rien vu, rien voulu voir : malgré l’horreur qu’elle lui inspirait, elle
aurait dû essayer de comprendre, de l’aider. Au lieu de quoi, elle lui avait
manifesté par son attitude sa peur et son dégoût ; elle l’avait rejetée, la
laissant seule face à son acte monstrueux.
    Les pensées de François n’étaient pas très
éloignées des siennes. Comme elle, il se disait qu’il aurait dû être plus
attentif au désarroi de Sarah. Il se sentait coupable d’avoir abandonné son amie
à ses fantômes, de n’avoir pas su l’éloigner de ses idées de vengeance ; la
connaissant, il aurait dû la protéger contre elle-même, s’appuyer sur la
mémoire de son père qu’elle adorait. Que dirait-il s’il revenait lui demander :
« Qu’as-tu fait de Sarah ? »
    Ensemble, par-dessus la table, ils se
tendirent la main. Enfin ils se retrouvaient.
    — Allons chercher Sarah, dit-il.
    Le bal battait son plein quand ils
rentrèrent au « Plaza ». Ils montèrent à la chambre de Léa, la porte
était ouverte, Sarah n’était pas là… Sur l’oreiller, bien en évidence, une enveloppe
portant le nom de Léa. Sur le papier à en-tête de l’hôtel, elle lut :
    Ma chérie,
    Bientôt je vais te rejoindre dans le
grand salon.
    Je ne sais pas encore si je serai en vie
le jour où tu liras cette lettre. Mais il faut que je te l’écrive, que j’essaie
de t’expliquer encore ce qui fait que je sois devenue un monstre. Je ne cherche
pas à me justifier, je me fais horreur. J’ai compris ces dernières semaines que
la vengeance n’apportait pas la paix mais un dégoût de soi et cependant, je la
crois nécessaire. Je n’ai plus le désir d’y participer. Non que je l’aie
assouvie, mais aucune vengeance ne pourra réparer le mal qui a été fait. Non
seulement ils ont tué mon père, mon enfant, m’ont mutilée à jamais en faisant
sur moi des expériences mais ils m’ont rendue complice de leurs ignominies. C’est
cela surtout que Daniel et moi ne pouvions nous pardonner. Complices nous l’avons
été, lui en dénonçant un déporté pour le vol d’un morceau de pain, moi en
volant une couverture à une mourante, nous l’avons été par notre impuissance à
nous révolter. Et puis, plus que tout, comment se pardonner d’être vivant ?
Je sens la folie s’emparer de moi, je sens toute humanité m’abandonner. Jai vu
que j’étais comme eux, capable de m’acharner sur un être sans défense et j’ai
beau me dire pour me trouver un soupçon d’excuse : « eux l’ont bien
fait », je cherche en moi un reste d’orgueil qui me retienne sur cette
sinistre pente. Souviens-toi, je te disais : « Je serai pire qu’eux. »
D’une certaine façon je l’ai été et cela, vois-tu, c’est la pire chose qu’ils
pouvaient encore me faire.
    Les paroles de Simon Wiesenthal, celle du
père Henri me reviennent en mémoire, le juif et le prêtre catholique parlaient
tous deux de justice, de foi dans l’homme. Je ne crois pas en la justice, je ne
crois plus en l’homme. Mon père était un juste, ils l’ont
tué, Daniel était un enfant écorché, ils l’ont tué, Amos était un pur, ils l’ont
tué. Mille morts ne vengeront aucune de ces morts-là.
    Et puis, il y a toi, toi que j’aimais et
à qui j’ai fait tant de mal. Je t’ai montré ce qu’il y avait de plus abject en
moi, je t’ai sacrifiée, mettant ta vie en jeu pour assouvir ma vengeance.
    Tu es la seule de qui j’implore le pardon
car tu es de ces êtres rares qui font croire que la vie, l’amour sont encore
possibles. Tu diras à François que je l’ai aimé comme un frère et que je
regrette d’avoir été un obstacle entre vous. Garde-le bien, il t’aime et jamais
deux personnes n’ont été aussi évidemment faites l’une pour l’autre que toi et
lui. Rentrez en France, ce pays que j’ai aimé, il y fait bon vivre. Retourne
sur ta terre de Montillac, du moins pendant quelque
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