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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango
Autoren: Régine Deforges
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temps, là sont les lieux
qui t’ont forgée.
    Ne garde pas de moi l’image grotesque de
ce tango mais celle de la femme meurtrie qui se promenait avec toi parmi les
vignes ou autour du calvaire de Verdelais. Ton amie qui t’aime,
    Sarah.
    Suivaient quelques
lignes d’une écriture hachée :
    Le moment est
venu, pardonne-moi cette dernière épreuve. Je sais que la folie est là. Adieu.
    Le visage
décomposé, Léa tendit la lettre à François. Pendant toute la lecture, elle
marcha de long en large en se tordant les mains. Quand il eut terminé, il était
très pâle. Les mâchoires crispées, il s’allongea sur le lit, les mains derrière
la tête.
    — Mais !… C’est tout ce que tu
trouves à faire ?
    — Il n’y a plus rien à faire.
    Elle se jeta sur le lit et se mit à le
secouer.
    — Salaud ! Ce n’est pas vrai, ce n’est
pas vrai !
    — Si, c’est vrai, et tu le sais aussi
bien que moi. Pour Sarah, il n’y avait pas d’autre issue.
    — Tais-toi, je vais aller la chercher.
    — Il est trop tard.
    — Comment peux-tu en être aussi sûr ?
    — Je connais Sarah et à sa place j’aurais
fait la même chose.
    — Fais ce que tu veux, moi je vais la
chercher.
    Léa n’attendit pas l’ascenseur et descendit
en courant. À la réception, elle bouscula des clients attendant leurs clefs.
    — Avez-vous vu madame Tavernier ?
    — Non, mademoiselle, répondit le
concierge, pas depuis qu’elle est montée.
    — Il y a longtemps.
    — Oh oui ! Vous étiez là quand
elle a pris l’ascenseur.
    Ainsi Sarah n’était pas sortie du « Plaza ».
    Dans la chambre François n’avait pas bougé.
    — Viens m’aider, supplia-t-elle. Sarah
est dans l’hôtel.
    Ils montèrent jusqu’aux terrasses qui
dominaient la ville ; au loin, devant eux, s’étendait le port. Seules
quelques lumières brillaient. On entendit la sirène d’un bateau. Un vent froid
soufflait, Léa frissonna.
    — Viens, il n’y a personne, tu vas
attraper froid.
    À regret, elle vint vers lui.
    — Là !…
    Sur des chaises longues, quelqu’un était
allongé. Ils s’approchèrent. Sarah semblait dormir. Son visage était détendu, un
sourire heureux flottait sur ses lèvres. Par terre, près de sa main pendante, un
revolver.
    Le suicide de
Sarah. après le bal scandaleux fit la une des journaux argentins. Cinq ou six
personnes seulement assis-tèrent à son enterrement au cimetière de la Recoleta.
Parmi elles, Ernesto Guevara.
    Une semaine plus tard, François et Léa
embarquèrent pour Bordeaux à bord du paquebot le Kerguelen. Ernesto et
Uri les accompagnèrent. Avant de monter dans le bateau, elle se retourna. Le
jeune Argentin lui fit un dernier signe.
    —  Che, Léa.
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